
Aucune montera levée au ciel, aucun hommage, aucune pensée émue, pas même une minute de silence. Luis Vallejo "El Pimpi" venait pourtant de mourir un jour auparavant à Salamanque. Il était l'un des meilleurs picadors du moment, et le fait de saluer sa mémoire n'avait visiblement traversé aucun esprit. C'est comme ça, El Pimpi est mort, la vie continue, à Arles comme ailleurs. C'est triste, mais rien dans l'atmosphère ne laissait penser à la mort du picador. Lors de cette corrida-concours à Arles, ses confrères n'ont par ailleurs jamais fait honneur au premier tiers, à leur castoreño et donc à leur métier.
Pourtant, on avait prédit ici et là que la corrida-concours baptisée pour l'occasion "Toros de France" rentrerait à coup sûr dans l'histoire. On allait assister à un remake du concours vicois du mois d'août ! C'est d'ailleurs ce sentiment qui m'a effleuré. Car toute la saison, les éleveurs français ont surfé sur la vague de l'indulto d'un becerro-novillo (âgé de trois ans et zéro mois) de Tardieu à Saint-Martin-de-Crau, sur le panier d'oreilles laissé par les Margé aux figuras à Palavas, et sur l'euphorie procurée par le concours vicois du mois d'août. Je n'étais à aucun de ces trois évènements, mais les médias compétents ont affirmé qu'il s'agissait au travers de ces faits historiques de la plus grande saison jamais connue des éleveurs français. La corrida-concours "Toros de France" de ce dimanche 12 septembre était ainsi le point d'orgue de la saison !
Mais d'entrée, il était difficile de croire en la publicité faisant la promotion d'une course "assurément historique", et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, trois toreros-banderilleros étaient annoncés au cartel et l'on pouvait plus ou moins savoir que les toros allaient être économisés pour le deuxième tiers afin que les hommes brillent bâtonnets en main au travers de diverses poses acrobatiques. Ensuite, le sérieux était définitivement enterré quand le speaker arlésien annonça qu'il fallait envoyer la pique de tienta après la deuxième rencontre au cheval.
Il faisait beau et chaud, et les ombres caressant l'amphithéâtre romain étaient jolies à voir. Pour le reste, on gardera bien peu d'images en tête de cette corrida-concours à l'issue comique qui ne passera pas à la postérité. En voici un récit désordonné.
En deuxième position, il y avait un toro de Gallon, sérieux, jabonero et aux armures veletas. Malheureusement, le bicho sembla accuser à la fois son poids et son encaste (Juan Pedro Domecq). Faiblissime, il ne fut quasiment pas piqué en deux rencontres et s'allongea à plusieurs reprises sur le sable, sous le regard du mexicain Israel Tellez. Quelques minutes plus tard, je me tournais en regardant au travers des gradins en ferraille la rue parallèle aux arènes, et j'y vis une image étrange. Le Gallon était allongé sur une remorque tirée par un tracteur, recouvert d'une bâche couleur vert militaire, seuls dépassaient ses cornes et son frontal couleur savon. La remorque avançait dans l'ombre, le genre d'image que rêvent d'immortaliser les pères Larrieu et Bartholin. Pendant ce temps là, l'exemplaire de Christophe Yonnet avait fait son apparition en piste, il était décasté et juste de forces, et surtout minuscule pour une corrida-concours. Il passa l'arme à gauche après un hyper-bajonazo de Mehdi Savalli. Puis vînt le toro de l'Astarac, lourd et peu armé. De la puissance avec un batacazo au premier tiers, puis les illusions s'envolèrent. Enfin, en sixième position, il y eut un toro de Piedras Rojas (propriété de Patrick Laugier), totalement arrêté au troisième tiers, après avoir été mal piqué et mal lidié. Pourtant, on aurait bien du mal à croire à un lien de cause à effet.
Deux toros restent à évoquer : Tardieu et Robert Margé. Le premier était dans le type Núñez, fin et bien armé. Il reçut trois piques en venant promptement et poussa à divers degrés. Ensuite, il y eut le deuxième tiers, puis le troisième, avec des hachazos et un comportement bronco et sur la défensive. Difficile de primer un tel toro bien qu'il ait été prompt à la pique.
L'autre était de Robert Margé, sorti en cinquième position. En fin de compte, c'était le toro le plus intéressant, ce qui ne veut pas dire le plus brave et le plus encasté. Ce qui ne veut pas non plus dire qu'il fallait à tout prix lui remettre le prix au meilleur toro. Il s'appelait "Bourgogne", était âgé de cinq ans bien sonnés, et pesait 610 kilos. Il entra en piste totalement arrêté, comme un corralero, et c'est même un subalterne d'Israel Tellez qui alla donner les premiers capotazos. Le Margé reçut trois piques administrées par le picador local Gabin Rehabi. Ce dernier fit la vuelta avec Tellez à la mort du toro et reçut le prix au meilleur picador à l'issue de la course. Avec ces deux informations, les absents peuvent donc penser à une grande prestation du picador. Pourtant, il y eut un cite avec le cul de cheval, plusieurs piques traseras, rectifiées, pompées et carioquées. "Bourgogne" sortit à chaque fois seul du cheval après des poussés inégales. Mais l'on ne peut pas dire qu'il ait été bien piqué. Et le seul élément positif de la prestation du picador fut de franchir la ligne pour aller chercher le Margé à la troisième rencontre. A la muleta, le toro fut à la fois noble, exigeant, difficile et au danger sournois. Devant cet adversaire à géométrie variable, le mexicain Tellez manqua de métier mais mit du coeur à l'ouvrage et montra plusieurs gestes agréables, c'est l'essentiel.
Le soleil était parti à la mort du toro de Piedras Rojas, et le speaker fît son retour en annonçant ceci "prix au meilleur toro décerné à l'exemplaire de Robert Margé, prix au meilleur picador décerné à Gabin Rehabi, prix au meilleur lidiador non attribué". La décision de remettre le trophée à Robert Margé fut fortement conspuée, certains ayant préféré le toro de Tardieu. Pourtant, le mieux était de déclarer tous les prix "desiertos". Mais quand on sait qu'à l'issue de la corrida-concours du mois d'avril, le jury n'attribua aucun prix, il semblait alors improbable pour l'organisation d'avoir programmé deux corridas-concours sans lauréats.
Florent