Cela
doit faire des années que cet article traîne au fond de mes
cartons. Jusqu'alors, je n'avais jamais eu l'occasion de le compléter
et de le boucler.
L'histoire
des indultos en France : un grand désordre ! Difficile de mettre de
la cohérence autour de ce thème.
Lorsque
l'on se remémore les grands toros combattus dans notre pays, on ne
pense pratiquement jamais à ceux qui ont été graciés. Les toros
de bandera dans notre esprit, ils ont au maximum été ovationnés à l'arrastre voire honorés d'un tour de piste.
C'est
un paradoxe de la corrida à l'heure actuelle : les
toros graciés ne sont pas les meilleurs que l'on voit dans l'arène.
En
France, l'indulto est une chose récente, puisque le premier
"véritable" a été accordé en 1986.
Il
faut dire que les évènements se sont accélérés dans les années 90,
puisque de nombreuses grâces se sont produites en Espagne. Par
ailleurs, les changements dans les règlements taurins y sont pour
beaucoup. Auparavant, on ne pouvait gracier des toros
qu'en corridas-concours.
En
théorie, lorsqu'un toro est gracié, c'est parce que sa présentation a été respectable, et que sa combativité du début à la
fin du combat a été exceptionnelle.
La
réalité est bien différente, puisque cet acte de l'indulto
est fortement dévalorisé. L'épreuve de la pique est généralement
négligée, car on prime avant tout le prototype du toro
moderne, d'une grande noblesse propice au troisième tiers. Or, s'il
devrait être le summum pour un toro de combat, l'indulto à l'heure
actuelle est un bémol au sérieux de la corrida, puisqu'il est
généralement une recherche de publicité pour ganadero, torero et
organisateur. On pense davantage aux conséquences de l'indulto sur
un CV, plutôt qu'à la réalité pratique des toros reproducteurs.
En
France, si le premier indulto eut lieu en 1986, l'histoire aurait
très bien pu commencer le 21 septembre 1952 dans les arènes de
Perpignan. C'est ainsi que le relate notamment Claude Sabathié dans
son ouvrage "Toros en Perpignan", tout comme d'autres reseñas de l'époque. Ce jour-là, dans le chef-lieu
des Pyrénées-Orientales, le vénézuélien César Girón affronta
un novillo d'Alicio Cobaleda, qui lui lécha le visage alors que le
torero lui caressait le frontal. La présidence décida de pardonner
la vie du novillo, mais ce dernier ne pouvant être ramené au
toril, il fut puntillé en piste. Hurlements de la foule et
intervention des forces de l'ordre... Une anecdote historique.
De nos jours, les indultos sont incontestablement un synonyme de
manque de sérieux dans les arènes. On néglige l'aspect fondamental de sa précieuse rareté théorique.
A
l'instar des indultos, les tours de piste posthumes étaient
également moins légions en d'autres temps.
Comme
une mode, on gracie aujourd'hui des toros en nombre conséquent,
notamment à l'occasion de corridas "évènements", comme c'est par exemple le cas lorsque des toreros affrontent seuls six toros.
La
liste qui va suivre est la plus exhaustive possible. Aussi, il est bien
d'avoir sous la main des statistiques, encore faut-il les exploiter !
En
me plongeant dans les archives à la recherche de ces cornus graciés,
j'ai remarqué qu'un bon nombre d'entre eux étaient totalement tombés dans l'oubli.
C'est ainsi. Il faut également préciser que les indultos dépendent
des arènes et de la catégorie des spectacles, parfois très divers.
En
France, donc, depuis 1986, j'ai comptabilisé 46 indultos. 20 en
corridas, 8 en novilladas avec picadors, 8 en novilladas sans
picadors, et 10 en festivals et fiestas camperas. Et depuis 2001,
toutes les temporadas ont vu au minimum un indulto. L'année 2014
confirmera-t-elle une fois de plus cette nouvelle "règle" ?
Cette
liste est établie de manière chronologique et comprend bien
entendu uniquement des courses ayant eu lieu en public.
Le
11 novembre 1986 à Saint-Sever,
un novillo de l'élevage
landais de Marcel Linès est gracié par Juan Villanueva lors d'une
fiesta campera sans picadors. Le torero franco-espagnol prendra
l'alternative quelques années plus tard à Benicarló (Castellón).
Le
8 novembre 1987 à Pouillon (Landes),
"Campesino", un
eral de Jean-Charles Pussacq est gracié lors d'une novillada
sans picadors par Christophe Aizpurua, qui reçoit à l'occasion des
trophées symboliques, et deviendra par la suite banderillero.
Le
30 juillet 1988 à Garlin, "Gonzalo", n°42, novillo de
Roland Durand par le novillero Sergio Sánchez (une oreille
symbolique). Ce novillo fut le premier à être gracié en France au
cours d'une novillada piquée. Face au cheval, "Gonzalo"
reçut une pique. L'indulto fut demandé par l'éleveur.
Le
19 février 1989 à Samadet, "Jaquerito", n°60,
novillo de Sepúlveda par José María Manzanares lors d'un festival
(deux oreilles symboliques). Exemplaire gracié à la demande du
torero.
Le
2 avril 1989 à Méjanes, "Jabonero", n°86, novillo de
François André par le novillero Angel Leria (deux oreilles
symboliques).
Le
20 mai 1991 à Nîmes, "Peleón", n°16, novillo des
héritiers de Salvador Guardiola Domínguez par Manuel Montoya. Cet
indulto sema le désordre dans le public, puisque malgré sa grande
noblesse, ce novillo manqua de forces. La grâce fut en partie
plébiscitée par le directeur des arènes, Simon Casas.
Le
18 juillet 1992 à Arles, un eral
d'Alain Tardieu par Yann Arias "Yanito",
qui s'habillait pour la première fois en costume de lumières.
Le
22 novembre 1992 à Nîmes,
"Afligido", novillo de Jandilla, par Dámaso González lors
d'un festival.
Le
28 février 1999 à Nîmes, "Tanguisto", novillo de
Yerbabuena par Juan Bautista. Ce novillo d'encaste Pedrajas reçut
trois piques et s'avéra brave.
Le
21 août 1999 à Saint-Laurent-d'Aigouze, toro n°516 de François
André par Lima de Estepona. Il s'agit du premier indulto lors d'une
corrida en France, obtenu par le modeste torero espagnol Lima de
Estepona. Ce toro n'était pas baptisé, et cette course des fêtes
votives du village gardois n'est pas restée dans les annales.
Le
1er juin 2001 à Nîmes, "Descarado", n°9, toro de
Victoriano del Río par Enrique Ponce. Un toro de pelage burraco,
noble, qui permit une grande faena à Ponce, mais n'avait rien "d'exceptionnel" selon les revisteros.
Le
8 septembre 2001 à Arles, "Invincible", n°15, toro de
Zalduendo par El Juli. Peu piqué, il fut banderillé par El Juli
lui-même, puis gracié du fait de sa noblesse. Le premier de la série d'El Juli à Arles.
Le
21 juillet 2002 à Lunel, "Pescaluno", n°964, novillo
d'Hubert Yonnet par Emilio Laserna. Allant quatre fois à la pique,
combattant jusqu'au bout avec caste et bravoure, Pescaluno fut un
très grand novillo, qui marquera l'histoire de son élevage et celle
des arènes de Lunel.
Le
22 juin 2003 à Istres, "Castillerito", n°137, toro de
Cebada Gago par Pepín Liría.
Le
23 novembre 2003 à Rion-des-Landes, un
novillo des Frères Jalabert par Fernando Cruz lors d'une fiesta
campera. Le novillo fut gracié à la demande de l'éleveur, et
ensuite baptisé "Rionero".
Le
25 avril 2004 à Garlin, "Idealista", n°128, novillo
de Fuente Ymbro par Fernando Cruz. Premier indulto en France d'un
pensionnaire de l'élevage de Ricardo Gallardo. Et pas le dernier...
Le
30 mai 2004 à Nîmes, "Anheloso", n°61, toro de Juan
Pedro Domecq par Enrique Ponce. Indulto généreux, pour un toro qui
manqua de forces. Curiosité : Ponce n'estoqua aucun adversaire lors
de cette corrida matinale, puisque le quatrième se coucha durant la
faena et dut être puntillé en piste.
Le
4 juillet 2004 au Grau-du-Roi, "Botinero",
n°7, eral de Guadalest, par Raúl Martí lors d'une novillada sans
picadors.
Le
11 juillet 2004 à Fréjus, "Coxico II", n°56, toro de
Palha par Stéphane Fernández Meca. Cet indulto fut protesté,
"Coxico II" n'étant d'ailleurs pas le meilleur toro d'une
brave et encastée corrida de Palha.
Le
22 août 2004 à Saint-Gilles, "Escandalito III", n°14,
toro de Robert Margé par Julien Miletto. Indulto à la demande de
l'éleveur de ce toro d'origine Cebada Gago. Grande polémique et
bronca sonore pour la présidence.
Le
2 octobre 2004 à Générac, un eral de Fare et Venant par le
becerrista Jean-Loup Aillet au cours d'une fiesta campera.
Le
3 juillet 2005 à Eauze, "Gironcillo", n°34, toro de
Javier Pérez-Tabernero par Julien Lescarret. Brave, mobile et
encasté, ce toro avait reçu trois piques. Il ne survécut pas à
ses blessures et mourut deux jours plus tard à son retour au campo.
Le
4 septembre 2005 à Bayonne, "Buen
Oro", n°32,
eral de
Santafé Martón par
Pepe Moral lors d'une novillada sans picadors. Cet eral fut récupéré
par l'éleveur gersois Jean-Louis Darré qui l'utilisa comme
reproducteur pour son fer de Camino de Santiago.
Le
13 août 2006 à Fréjus, "Condor", n°5, toro de
Cortés (second fer de Victoriano del Río) par Juan Bautista.
Dernière corrida dans l'histoire des arènes de
Fréjus.
Le
15 août 2006 à Béziers, "Cara alegre", n°6, toro de
Valdefresno par Iván García. Toro brave et noble, qui poussa
longuement durant sa première rencontre à la pique. Ce toro mourut
à son retour au campo quelques jours plus tard.
Le
14 octobre 2006 à Saint-Gilles, "Renegado",
n°74, novillo de Miranda de Pericalvo par Richard Milian lors
d'un festival.
14
octobre 2006 à Saint-Gilles, "Estampa",
n°59, novillo de Miranda de Pericalvo par Sébastien Castella
lors d'un festival. Deux indultos le même jour...
Le
14 août 2007 à Béziers, un eral de Robert Margé par Carlos
Ruiz, novillero sans picadors de Chiclana de la Frontera. D'après
les rumeurs, cet eral aurait été abattu dès la fin de la course dans les corrales. Comme toutes les rumeurs, ceci reste à confirmer
et à vérifier. Même sept ans après...
Le
20 juillet 2008 à Châteaurenard, "Cantino", n°45,
toro de Los Bayones par Antonio Ferrera.
Le
7 septembre 2008 à Dax, "Desgarbado", n°67, toro de
Victoriano del Río par Miguel Angel Perera. Probablement le plus
controversé des indultos de ces dernières années en France, avec
un toro à peine âgé de quatre ans, peu piqué et très noble. Il
faut dire qu'il s'agissait du sixième toro d'une médiocre corrida
de Victoriano del Río.
Le
29 mai 2009 à Nîmes, "Llanero", n°83, toro de
Garcigrande par Javier Conde. Indulto protesté.
Le
24 avril 2010 à Saint-Martin-de-Crau, "Sabanero",
n°37, novillo d'Alain Tardieu par Esaú Fernández. Novillo tout
juste âgé de trois ans.
Le
24 octobre 2010 à Rodilhan, "Deheso",
n°80, novillo d'Olivier Fernay, par Marc Serrano lors d'un festival.
Le
22 avril 2011 à Arles, "Pasión", n°73, toro de
Domingo Hernández par El Juli. Brave en deux piques et noble, il
n'était cependant pas un toro exceptionnel. En outre, le toro
précédent (le premier de la corrida) avait démontré davantage de
bravoure.
Le
8 avril 2012 à Aignan, un eral du Lartet par le novillero sans
picadors Tiago Santos.
Le
15 avril 2012 à Nîmes, "Becario", n°114, eral de
Salvador Domecq par le novillero sans picadors Filiberto Martínez.
Le
15 juillet 2012 à Châteaurenard, "Madrugador", n°75,
toro de Santiago Domecq par Sébastien Castella.
Le
20 juillet 2012 à Mont-de-Marsan, "Jazmín", n°193,
toro de Fuente Ymbro par Matías Tejela. Même Mont-de-Marsan n'a pas
résisté à la mode...
Le
12 août 2012 à Béziers, "Calabrés", n°57, toro de
Daniel Ruiz par Miguel Angel Perera. Un toro anodin.
Le
16 septembre 2012 à Nîmes, "Ingrato" ou "Vandalo"
(le nom de ce toro dépend des versions), n°31, toro de Parladé
combattu par José Tomás. Autre toro anodin, qui sauta dans le
callejón en début de combat. Seul contre six de José Tomás.
Le
3 novembre 2012 à Gimeaux, un eral du Curé de Valverde par le
novillero sans picadors Andy Younes lors d'une fiesta campera.
Le
17 mars 2013 à Samadet, "Jalado", n°224, novillo de
Fuente Ymbro par Juan Leal. Seul contre six de Juan Leal. Troisième
indulto d'un pensionnaire de Ricardo Gallardo en France.
Le
15 juin 2013 à Istres, "Golosino", n°45, toro de La
Quinta par Juan Bautista. Seul contre six de Juan
Bautista.
Le
7 septembre 2013 à Arles, "Velero", n°103, toro de
Domingo Hernández par El Juli. Troisième indulto obtenu par El Juli
dans les arènes d'Arles.
Le
29 septembre 2013 à Arles (arènes du Sonnailler), "Plumero",
n°5, eral de Sainte-Cécile par le novillero sans picadors Maxime
Solera.
Le
20 octobre 2013 à Manduel (Gard), "Presumido",
eral
de Gallon par l'ancien matador Frédéric Leal lors d'un festival.
Preuve en est qu'en France (et c'est également le cas en Espagne), les
plus grands toros de l'histoire ne sont pas ceux qui ont eu les
honneurs du mouchoir orange...
Florent
(Image :
Le sorteo du 22 avril 2011 à Arles. Des arènes où El Juli a gracié trois toros dans sa carrière)