TOROS
EN GELSENKIRCHEN
C'est au 15 août que la
saison taurine bascule. Après le 15, le terminus n'est plus qu'à
une courte distance. La saveur est amère et l'on a du mal à
accepter l'horizon de la fin de saison. C'est déjà fini, ou
presque.
Au week-end du 15 août,
pas besoin d'une imagination fulgurante pour trouver une arène où
l'on fait courir des cornus. C'est même le moment de l'année le
plus prolifique en la matière.
Après coup, j'ai du mal
à imaginer que ce précieux week-end (cuvée 2014) aurait dû être
vide de toros. Mais puisque cela était impossible, il fallut donc
faire un choix.
Pourquoi ne pas aller
voir les La Quinta (dont les lots de toros et de novillos sont
désormais estampillés de deux fers : La Quinta et Cubero
Buendía) dans la magnifique arène en bois de Roquefort ? Mais
si l'endroit est agréable, cette enseigne d'encaste Santa Coloma
l'est beaucoup moins ces dernières années. Ce sera non.
Le lendemain, 16 août,
une corrida de Pedraza de Yeltes était annoncée à Dax. Du Domecq
du Campo Charro (d'origine Aldeanueva) dans sa version la plus
intrigante.
Attendaient donc dans les
corrales six toros aux pelages roux et châtains, corpulents,
oscillant entre 570 et 640 kilogrammes, diversement armés mais
imposant tous le respect. Au 16 août, date traditionnelle du village
de Collioure (qui ne célèbre plus de courses depuis trois ans),
j'aurais imaginé ces superbes Pedrazas entrer sur cette piste
(aujourd'hui transformée en parking), donner des vertiges aux
spectateurs du fait de leurs impressionnantes carcasses, et
mitrailler de toute leur caste les burladeros en fer de cette
portative. Trêve d'imagination, car hélas, Collioure n'existe plus
sur la carte taurine.
A Dax, l'élevage de Pedraza
de Yeltes a livré une corrida de toros majuscule. Remercions les dignitaires de cet emblème (propriétaires, représentants,
mayoral) pour ce lot extraordinaire et pour leur travail. Il s'agit
en effet d'un bétail d'origine Domecq via Aldeanueva, un élevage
qui s'était piètrement illustré et n'avait fait rêver personne en
2001 à Floirac, et dont celui d'El Pilar puise les mêmes
origines... et donne également peu de matière aux rêves.
Pedraza de Yeltes, c'est
autre chose ! En espérant que l'avenir confirme l'actualité de
cet élevage.
Un lot de toros de 600
kilos en moyenne, faisant mentir toutes les idées reçues sur la
combativité et la mobilité des toros dits "lourds".
Un lot brave, mobile et encasté. Le Domecq que l'on aime.
Au total, ces braves
reçurent 17 piques, qui en valaient bien 25 ou 30, la plupart étant
des attentats délibérés orchestrés par des picadors peu
scrupuleux, excepté Tito Sandoval qui face au troisième fut le plus
honnête.
Les Pedrazas furent
combattus par trois toreros qui en ce jour semblaient être des héros
déchus des ruedos. Des toreros qui, avec courage ou héroïsme, ont
fait rêver par le passé, mais qui ce 16 août ont généralement
saccagé les lidias.
Avares en élégance, ces
trois toreros brutes (surtout Ferrera et Urdiales) ont donné un
parfum de Bundesliga. Comme si déjà, ils envisageaient une fin de
carrière chez les seconds couteaux du championnat allemand :
Fribourg, Rostock, le Werder Brême ou encore Schalke 04
(Gelsenkirchen).
A Dax, le
premier Pedraza, Deslumbrero,
numéro 25, donna le ton de la course. Brave en trois fortes piques,
il fut banderillé à corne passée par Ferrera, qui tapa
systématiquement du pied pour le citer. Pourtant, la corne droite de
ce Deslumbrero était
superbe et aurait mérité un meilleur sort. Trop de gesticulations,
une corne gauche inédite, un bajonazo final et des sifflets.
Le
quatrième, très bien présenté, se distingua à son entrée par un
beau remate contre les planches. Il fut, dans ce concert de premiers
tiers médiocres, le plus mal piqué de l'après-midi. Deux piques
horribles, traseras, pompées, vrillées, avec des cariocas
interminables. Encore bon dans la muleta, ce toro était toutefois
exsangue et asphyxié. On ne remerciera en aucun cas Ferrera, indigne
et ignoble ce 16 août.
Matador aguerri, Diego
Urdiales connut la surprenante désillusion d'entendre les trois avis
face au deuxième toro de la soirée. Ce deuxième Pedraza, qui
désarçonna le picador, s'était avéré bravucón, avec une
tendance à se retrancher et à fuir des muletazos. Urdiales mit du
temps à le fixer au moment de vérité, alors que le sablier
s'écoula intégralement.
Le cinquième, Bello,
640 kilos, fut un grand toro dans tous les sens du terme. Très
sérieux, il eut droit à une lidia que l'on peut tout simplement
qualifier d'abominable, avec trois piques affreuses et destructrices
sous l'oeil complice d'Urdiales.
La chose
la plus incroyable chez ce brave toro, c'est qu'il dura le temps de
neuf séries à la muleta, malgré le sabordage initial ! De ces
charges vibrantes et somptueuses à la muleta, Urdiales en profita,
pour donner cinq premières séries droitières, avant d'aborder
tardivement la corne gauche. Mais c'est la transmission du toro de
Pedraza qui fit toute la faena et gagna la partie, puisque Urdiales,
torero sec, ne se relâcha jamais. Après une estocade tombée, on
offrit deux oreilles de brigand au matador. La normalité aurait été
d'honorer le toro d'un mouchoir bleu et de ne rien donner à
Urdiales.
Le grand moment de cet
après-midi fut le tiers de piques de Miralto,
le troisième Pedraza. Quatre rencontres au total face à Tito
Sandoval : la première sans mise en suerte, la deuxième en
poussant en brave, la troisième en partant du centre, puis la
dernière en venant au galop de presque trente mètres ! Face à
lui, Sandoval eut des réussites diverses avec l'emploi de sa lance,
le public lui pardonnant en ovationnant même ses piques traseras.
Javier
Castaño fut quant à lui le torero le plus honnête du jour, en
tentant toujours de mettre en valeur ce Miralto,
certes diminué à la muleta par un tiers de piques très intense.
Miralto restait
tout de même un grand toro, mais Castaño ne parvint pas à
l'estoquer tel qu'il l'aurait voulu : un recibir de sept ou huit
mètres. Une fois de plus, les aciers de Castaño semblaient être faits de bois.
Le
dernier Pedraza, Fantacioso,
renversa la cavalerie... et fut lui aussi un bon toro ! Cette fois,
Javier Castaño, hors du coup, passa à côté du sujet.
Au
terminus de cette grande corrida de toros, sous la fraîcheur des 21
heures approchant, on aurait aimé acclamer le mayoral seul en piste.
Mais l'on fut privé de cette ovation à cause de la sortie en
triomphe d'un torero insoucieux de la lidia... Avec des tiers de
piques comme des tacles de Bundesliga.
Ce
16 août à Dax, les vrais triomphateurs ont été les toros de
Pedraza de Yeltes.
Florent