La tauromachie a du mal à
s'accommoder du surplus d'événementiel, quand des semaines ou des
mois avant une corrida très attendue, l'engouement augmente jusqu'à
l'insoutenable. Peut-être parce qu'une place de corrida n'est pas un
bien de consommation comme les autres.
Dimanche, un torero
courageux et aguerri s'apprêtait à affronter seul six toros de
ganaderías prestigieuses, devant une arène au complet, et pas
n'importe laquelle.
L'événementiel a
conduit au constat suivant : incontestablement, il fallait être
à Las Ventas ce dimanche. Mais pour quelles raisons ? Et à quoi
s'attendre ?
Les
personnes qui ont rempli les arènes ce 29 mars s'y sont rendues pour
des raisons sans doute différentes. La grande majorité par afición,
c'est impossible de le nier, mais pas seulement...
Depuis maintenant cinq
mois, on ne parlait que de cette course, Iván Fandiño seul face à
ces six toros.
L'objectif premier a été
parfaitement atteint : épuiser les places en vente. Le second, une
grande déception, avec un bilan maigre. Fandiño, seul matador à
l'affiche, n'a même pas salué une seule fois au tiers.
Pourtant, des semaines et
des mois avant la corrida, cette issue n'était envisagée par
personne. A croire qu'en allant à Las Ventas ce 29 mars, on allait
acheter une place pour consommer un grand triomphe. Consommer le
triomphe avant même que le paseo n'ait lieu...
Mais les derniers "seuls
contre six" dans cette grande arène ont démontré qu'il
s'agissait d'un exercice difficile, et dont le succès reste rare.
Il y a
trois ans, après avoir chacun réalisé une saison 2011 d'enfer,
Iván Fandiño et David Mora s'étaient retrouvés à Las Ventas au
tout début de la temporada 2012, le 1er avril, pour un mano a mano
face à des toros de Jandilla. Devant une demi-arène cette fois-là,
Fandiño était parti accueillir le premier toro de l'après-midi
face au toril, avec une gaonera ! Le reste de la course ? Le néant.
Pour le seul contre six
de 2015, deux hypothèses avaient été imaginées. Le triomphe ou la
blessure.
Car c'est vrai, Fandiño
est un torero hors du commun, capable de tout. Personne ne l'a dit ou
écrit, mais qui n'a pas pensé à ce qu'au premier toro, le Basque
se lance dans une faena serrée et intense, avec deux oreilles
acquises en se laissant prendre au moment de l'estocade ? Et laisser
ensuite le loisir aux sobresalientes de s'occuper des cinq autres
toros, et quelque part se retrouver devant l'opportunité de leur
vie...
On aurait pu envisager
cela pour Fandiño, dont le courage est presque mystique. Mais comme
tous les autres toreros, il connaît des hauts et des bas, avec des
imperfections. Ce ne sera pas pour cette fois, peut-être la
prochaine...
Ce seul contre six était
en tout cas une arme à double tranchant. En cas de triomphe, il y
avait la possibilité de mettre la barre haute, un peu comme Renaud
Lavillenie dans sa discipline.
Mais dans le cas inverse,
il y avait le fait d'être tout seul, face à cette course sans
résultat, hors feria, et qui ne serait pas masquée par
d'éventuelles corridas les jours suivants.
Quant aux déceptions de
ce genre, rien de nouveau, puisqu'elles sont multiples chaque année.
L'an dernier, El Juli s'était annoncé à Nîmes face aux toros de
Miura. Peut-être la possibilité d'un combat inédit ? A la
place, devant des arènes pleines ce lundi de Pentecôte, les Miura
sont sortis invalides, et trois d'entre eux ont été remplacés.
Le même jour à Vic,
devant un peu de moins de trois quarts d'arène, et la moins bonne
entrée de la feria, il y avait Lamelas et les Dolores Aguirre.
Grandiose, exceptionnel... mais surtout inattendu.
Un peu comme le retour
des Dolores Aguirre dans le Sud-Ouest en 2010 après sept ans
d'absence, à Orthez, où avec des arènes loin d'être pleines, il y
eut un fantastique lot de toros. Fandiño était au cartel ce
jour-là.
En fait, l'aficionado est
comme le citoyen lambda qui parie sur des courses de chevaux ou des
matchs de football. Une histoire de loterie. On ne vas pas aux arènes
comme au restaurant.
Il faut en tout cas se
débarrasser de cette mode anglo-saxonne, où le résultat d'une
corrida serait obligatoire. L'important, c'est qu'il y ait un, deux
ou trois toreros à l'affiche, et des toros bien présentés. Le
reste est aléatoire.
Dimanche, un jeune
espontáneo, le novillero Andrés Jiménez "Gallo
Chico", qui n'a pas un seul contrat en poche depuis deux ans, a
sauté dans l'arène muni d'une muleta pour aller arracher des passes
au toro d'Escolar. Résultat des courses, il n'a pas atteint son but
et s'est fait copieusement siffler par le public. Étonnante
réaction, tellement conformiste, et qui a horreur des imprévus...
Et en
l'occurrence, en la personne de ce jeune homme, il ne s'agissait pas
d'un anti-corrida !
Ce 29 mars, à la fin de
la course, des gens ont jeté des coussins sur Fandiño à sa sortie
des arènes. Ils font certainement partie de ceux qui vont aux arènes
dans l'attente d'en "avoir pour leur argent".
Mais c'est là un sujet extrêmement délicat et inquantifiable.
Devant
l'hypothèse de vibrer avec des toros encastés et un Fandiño
héroïque, ceux-là étaient uniquement venus dans l'optique de dire
"j'y étais"...
Florent