Mont-de-Marsan, corrida
du vendredi 24 juillet, mano a mano Enrique Ponce – Iván Fandiño.
Là, en sortant des arènes, je me suis souvenu de ce qu'avait écrit
Xavier Klein il y a bien des années, avant même de diriger la
commission taurine d'Orthez. C'était à propos de l'indulto de
"Desgarbado" de Victoriano del Río à
Dax. Une seule pique, une noblesse infinie et un mouchoir orange. Il
ciblait dans son texte le sentiment du décalage.
Celui qui vous traverse
de part en part, que vous ressentez, mais qui paraît comme interdit.
On vous reprochera trop de rigidité, s'il ne s'agit pas d'être
considéré comme un Jérôme Savonarole.
A Mont-de-Marsan, cette
année, il y avait une corrida de Victoriano del Río, mais pas
d'indulto à recenser. A la sortie des arènes, on dit qu'Enrique
Ponce n'avait jamais été aussi bon auparavant au Plumaçon ! Et pourtant ! En 2006 face à des Javier Pérez-Tabernero
qui n'étaient pas des foudres de guerre, ou plus récemment face à
des Samuel Flores exigeants, il semblait avoir atteint des sommets
d'une plus grande pureté qu'en 2015.
Ce vendredi 24 juillet,
la musique a beaucoup joué, donnant même à certains d'entre nous
l'impression que l'on s'était éloigné de l'essentiel. Le socle,
c'était un lot de Victoriano del Río. Du moins, quatre toros de
Victoriano del Río, un de Toros de Cortés (5ème), et un de Juan
Pedro Domecq (4ème bis). Un ensemble loin d'être satisfaisant en
présentation pour une arène de première catégorie. Et ce dans
tous les domaines, aussi bien en corps qu'en armures. Le 4ème
titulaire est même entré en piste avec une corne explosée
(accident ou non ? Au bénéfice du doute, on évoquera un accident)
avant d'être renvoyé aux corrales.
Au moral, des toros chez
lesquels la force, la caste, la bravoure et la noblesse sont à ce
point calibrées qu'elles ne laissent pratiquement pas de place à
l'incertitude. D'ailleurs, trois mois plus tard, on a oublié
l'identité de ces toros, leur allant, leurs pelages, leurs cornes.
Avec sa technique, Enrique Ponce a masqué beaucoup de carences du
bétail, avec des faenas dans un mouchoir de poche. Iván Fandiño
est apparu décidé, mais sa place dans l'arène semble appartenir à
un autre type d'adversité.
Et la musique, quant à
elle, a certainement eu un rôle d'édulcorant ce soir-là.
Pas qu'il soit question
de juger la performance musicale, qui était bonne, mais
l'opportunité de tels morceaux dans ces instants. Ils auraient même
été choisis à la demande des toreros. Des musiques de films ou des
mélodies militaires. Un morceau de Morricone au goût d'obsèques ;
ainsi que le curieux "Degüello" (l'appel
à l'égorgement), une adaptation dont on se passerait bien de
connaître la signification historique.
Lors de la faena de
Ponce, au premier toro, si l'air musical était paisible et
cérémonieux, il paraissait aussi d'une tristesse infinie. Toutes
ces mélodies là ne valent pas, dans ce contexte, un bon vieux
"Martín Agüero" ou un "Gallito".
On évoque la corrida de
Mont-de-Marsan, mais une véritable mode pour ce genre musical est
apparue dans les arènes françaises ces dernières saisons. Pour
sublimer ou pour pallier ?
Le premier morceau de ce
registre triste, sombre et mélancolique, c'est le Concerto
d'Aranjuez. On l'attribue souvent (et à tort) à l'inspiration de
telle ou telle vedette qui en aurait fait la demande préalable.
Mais c'est en 2010 à
Arles que l'on entendit pour la première fois cet air jusqu'alors
inconnu dans une arène. Une chaleur écrasante ce matin-là, une
arène vide aux neuf dixièmes, et dans l'immensité de cette piste,
Thomas Joubert face à un novillo d'Antonio Palla qui le souleva
plusieurs fois lors d'une faena émouvante. Une musique surprenante,
mais qui aurait peut-être dû appartenir seulement à ce moment-là.
Depuis, il semble qu'il y
ait une course à la performance musicale. Combien de fois le
Concerto d'Aranjuez a-t-il résonné dans les arènes depuis ?
Jusqu'à en devenir un lieu commun.
Et puis,
on a remarqué l'extension de tout un répertoire (fourre-tout,
comprenant entre autres des mélodies de film) manquant souvent de
simplicité. De là à en faire une norme, il y a un pas
infranchissable.
A Mont-de-Marsan, le 24
juillet, le public a demandé par deux fois des tours piste aux toros
de Victoriano del Río. Des tours de piste non accordés par la
présidence, tandis que le mayoral est sorti en triomphe de façon
grotesque. A l'arrastre, les toros étaient ovationnés, comme par
compassion, puisqu'ils venaient de permettre des compositions
artistiques dans lesquelles ils étaient secondaires.
Avec ces tristes morceaux
de musique, on avait probablement assisté à un beau spectacle. Pour
ce qui est d'une grande corrida, le débat est en revanche plus
délicat.
On parle là du sable
d'une arène, et non pas de planches d'une salle de concerts. Une
corrida, elle, ne doit pas ressembler à un enterrement.
En remuant les souvenirs,
on remarquera que les plus grandes faenas restent celles où la
musique s'était tue.
Florent