Prendre le chemin des
arènes, un matin ensoleillé, les Pyrénées toujours enneigées en
arrière-plan, et repenser à l'ami qui est parti trop tôt, trop
jeune. Se dire qu'on se reverra peut-être, aujourd'hui, dans six
mois, ou un an, se le dire innocemment. Se dire aussi que la vie
serait en réalité plus légère qu'on ne le penserait, et croire
encore en cette rencontre malgré tout. Il existe une expression qui
affirme qu'il faut "vivre avec", même si
la réalité condamne en fait à "vivre sans".
Si un périple lors d'une
grande feria est alléchant, en consacrant son attention sur une
grande arène, il ne faut pas négliger la saison des petites plazas,
toutes différentes les unes des autres, et offrant chacune un charme
particulier. Dimanche, c'était au tour de Garlin, qui annonçait
pour la quatrième année d'affilée des novillos de Pedraza de
Yeltes. Car c'est dans cette petite arène du Béarn que les Pedraza
ont été présentés pour la première fois en France.
Schématiquement, l'histoire publique de cet élevage commence en
Espagne par les corridas d'Azpeitia, et en France avec les novilladas
de Garlin. La première à Garlin en 2013, avec un statut d'outsider,
et trois ans plus tard, celui d'un élevage parmi les plus demandés,
y compris par les plus grandes arènes. L'impact de Pedraza de Yeltes
à Garlin en a même fait oublier que quelques années auparavant,
c'est l'élevage de Joselito qui y était souvent sollicité, avec
comme point culminant "Oracundo" en 2010,
un novillo exceptionnel au pelage blanc. Garlin, par prime à
l'ancienneté, a bénéficié cette année de la seule novillada de
Pedraza de Yeltes, avec des exemplaires qui ne pouvaient pas
prétendre à une sortie en corrida. Si avec le temps, Garlin doit se
passer de cet élevage, il ne faudra pas désespérer. Pourquoi pas
une autre bonne surprise après Joselito et Pedraza.
Pour la quatrième année
d'affilée aussi, Garlin proposait une formule unique en son genre. A
savoir que le meilleur des deux novilleros du matin participerait à
la novillada de l'après-midi. Une arme à double tranchant, qui
permet de découvrir un novillero en plus le matin. Mais l'on peut
aussi peser le pour et le contre. Car qualification signifie aussi
élimination. Dans ce cas de figure, cela ressemble un peu à ce
qu'était la Coupe Intertoto pour les clubs européens. Si tu perds
en début de saison, c'est fini, et l'on ne te reverra plus. Malheur
au perdant. Par exemple, le novillero Luis Manuel Terrón, qui avait
été intéressant en montrant de bonnes dispositions en 2015, n'a
plus été revu en France depuis. Cette année, c'était au tour
d'Alberto Escudero, souffrant d'une lésion à l'épaule nous dit-on.
Une lidia appliquée de sa part, face à un novillo brave et noble,
avec l'impression d'un novillero qu'il faudra revoir. Hélas, sa
cuisante déconvenue avec l'épée l'a quasiment éliminé d'office.
Le second novillo de cette qualif' matinale était impressionnant, et
faisait penser en morphologie à ce que l'on a déjà vu de Pedraza
de Yeltes en corrida. Sauf pour les cornes, qui cette fois étaient
défectueuses. "Pomposito", ce colorado
qui ne devait pas être loin des 600 kilos, a été très puissant et
brave en trois piques, après avoir dégommé un burladero à son
entrée en piste. Un toro-novillo, brave, exigeant, devant lequel
Diego Carretero fit de son mieux avec sincérité. Une conclusion
efficace lui permit d'intégrer le cartel de l'après-midi.
Devant des arènes
pleines, à partir de 16 heures 30, on remarqua que les lidias furent
beaucoup moins appliquées que le matin. Quasiment tous les novillos
(sauf le dernier) allèrent au cheval sans être mis en suerte.
Attirés comme des aimants, mais rarement canalisés par les
cuadrillas. L'endroit de la pique, à une dizaine de mètres à peine
du toril, semble à revoir, même si la configuration de l'arène ne
permet pas beaucoup de solutions. Oscar Bernal reçut logiquement le
prix au meilleur picador pour la lidia du sixième, qui fut la seule
appliquée de l'après-midi. Pour le reste, il y eut des moments
d'absence, voire de panique, heureusement maîtrisés par les
interventions de messieurs Bonijol et Langlois. L'an dernier, Luis
Miguel Leiro avait eu le prix au meilleur picador, cette année,
c'est lui qui a été le pire (face au quatrième). Tout peut donc
basculer d'une année à l'autre.
Chez les novilleros,
Joaquín Galdós a confirmé ce qu'il avait montré à Mugron, un
toreo mécanique, très profilé, sans surprise, et peut-être déjà
l'esprit à l'échelon supérieur, car Galdós est d'ores et déjà
annoncé dans d'autres arènes après son alternative, un luxe dont
peuvent se vanter bien peu de novilleros. A Garlin, il toucha d'abord
un petit novillo, laid de présence, mais qui possédait du fond,
brave en deux piques, et noble ensuite. Après cela, le péruvien
Galdós fut en-dessous du quatrième, "Bellito",
le novillo de l'après-midi, brave et puissant au cheval, en
provoquant une grande chute, et qui tint debout tout le combat malgré
le lourd châtiment, avec caste, bravoure et noblesse. Grande ovation
à l'arrastre, et une oreille qui ne passera pas à la postérité
pour Galdós.
On
retrouva aussi Diego Carretero, qualifié le matin, qui montra encore
un bon concept, mais allongea jusqu'à l'excès chacune de ses
faenas. Un peu léger techniquement, Carretero est intéressant dans
ce qu'il propose de par ses placements face au toro et son désir de
bien faire les choses. Il eut tout d'abord un adversaire noble et de
peu de forces, qui lui infligea une rouste d'anthologie au moment de
l'estocade, puis un autre novillo plus intéressant cette fois,
encasté, mais étouffé après une accumulation de muletazos et trop
peu de distance dans la faena.
La technique que l'on
devine chez le mexicain Luis David Adame devrait lui permettre de
faire davantage que ce qu'il a montré à Mugron et Garlin. Toujours
sérieux et spectaculaire aux banderilles, intéressant dans le
registre mexicain avec les zapopinas, le reste est un peu plus
truqueur. Tout d'abord face au troisième, très protesté à cause
d'une boiterie à son entrée en piste, qui prit une seule pique,
mais récupéra au cours du combat. Et aussi face au sixième, brave
en deux rencontres et très noble, auquel Adame servit une faena
portant sur le public, mais avec des effets un peu faciles. Ce
sixième novillo eut un tour de piste, alors qu'il ne semblait pas
être le meilleur du lot. Adame repartit quant à lui de Garlin
avec trois oreilles, après avoir cherché à chaque fois des
estocades basses et d'effet rapide laissant songeur. Le petit frère
de Joselito Adame devra être moins filou à l'avenir s'il veut faire
carrière.
Aux arènes, on
s'intéresse à ce que l'on voit, et l'on est aussi curieux de ce qui
se passe en coulisses, de ce que l'oeil ne peut apprécier. On
pouvait donc repenser à Alberto Escudero, ce novillero "éliminé"
le matin. Peut-on malgré tout assister à une course à laquelle on
n'est pas convié pour toréer ? Mystère. Le fait est que
généralement, le novillero éliminé le matin à Garlin n'est pas
revu ailleurs au cours de la saison. Il y avait de quoi y repenser en
voyant Luis David Adame et le mayoral (Curro Sánchez, qui avait
changé de tenue après avoir piqué le cinquième) sortir en
triomphe au soleil couchant. Escudero, lui, ne goûtera probablement
pas à ce type de triomphe au printemps et à l'été qui viennent,
et il ne pourra guère apprécier l'ambiance des grands soirs. Vous
êtes le maillon faible, au revoir.
Florent