Solitude le long des
planches, comme celle de Paco Ureña à Madrid hier après-midi.
Certes le valet d'épées vient pour constater l'étendue d'une
probable blessure, mais le torero reste, tout de même, dans sa
solitude. Le regard noir, fixé sur l'adversaire et le fil du combat.
On ne voit cela qu'en
tauromachie, où lorsqu'un torero est touché lors de l'accueil à la
cape, il s'accorde parfois un round d'observation. Toreros accidentés
mais pas résignés, patients, et tentant de jauger leur propre force
et leur capacité à revenir. Malgré une blessure aux ligaments du
genou après avoir été "tamponné" contre les barrières
par son second toro de Montalvo, Paco Ureña a attendu assis quelques
minutes afin de poursuivre le combat.
Elle est rare cette image,
mais pas pour autant inédite. Ce genre de situation a tendance à se
produire plusieurs fois par saisons.
J'ai le souvenir d'un
reportage de Face au Toril, d'une VHS, dans les années 90, à
l'époque où les enfants n'avaient pas encore de smartphones ou de
tablettes entre les mains. Seulement des Game Boy Color et des
cassettes. Une VHS donc, que je me souviens avoir vu des dizaines de
fois. Les arènes d'Arles comme toile de fond, et un novillero à la
mode, Antonio Borrero "Chamaco", propulsé dans les airs
par un exemplaire de Victoriano del Río. Année 1991. Chamaco était
resté le souffle coupé, groggy, assis sur la bordure de la barrière
pendant de longues minutes. Veillait en face de lui une caméra
isolée, immortalisant ce moment exceptionnel qu'est la solitude d'un
torero après un accrochage dont on sait qu'il se relèvera.
Hier, l'attente de Paco
Ureña faisait penser à cela. A fortiori dans une arène, Madrid, où
la blessure peut arriver bien plus vite qu'on ne le pense.
Paco Ureña était
sérieusement touché au genou quand il est reparti combattre le
Montalvo. Avec des statuaires, sans bouger, et peut-être la promesse
d'un nouvel exploit. Il faut dire que le souvenir de sa faena d'il y
a deux ans face à un toro d'Adolfo Martín est encore vif dans les
esprits. Et ce, bien qu'il n'ait obtenu aucun trophée ce jour-là.
Mais les naturelles d'anthologie sont restées.
Hier, ne quittant pas la
piste malgré une blessure, des sifflets l'ont accompagné depuis les
gradins. Incompréhensibles, mais de rythme soutenu tout le long de
l'après-midi, donnant ainsi un sentiment étrange.
S'il tua mal à chaque fois,
face à deux toros sans intérêt, Paco Ureña ne méritait en aucun
cas ces sifflets.
Avec Curro Díaz et Alberto
López Simón, il faut dire que les trois toreros étaient attendus
comme des favoris par le public de Las Ventas. Eux qui pendant des
années n'étaient que de simples outsiders.
L'après-midi, en fait,
avait déjà déraillé depuis le combat du premier toro. Alors qu'il
n'y avait même pas eu les deux piques réglementaires, le président
décida de passer aux banderilles. Le toro fut fortement protesté
aussi, mais pas remplacé, ce qui donna le ton, et déclencha la
colère d'une partie du public restant sur ce détail pour tout le
reste de la course.
Dans le chahut de ce premier
combat, le toro de Montalvo, faible mais peu piqué, et court de
charge aux banderilles, s'en alla cueillir le subalterne Lebrija, lui
infligeant un grave coup de corne à la cuisse.
Chahuté fut aussi Curro
Díaz, aussi bien au premier qu'au quatrième, malgré de la torería,
de la personnalité, et une main gauche privilégiée. Il est vrai
qu'il resta au final beaucoup de choses inabouties dans sa
prestation. Le public madrilène lui reprocha son toreo de profil,
son placement et sa distance. Dommage, car en étant plus centré et
avec de meilleures épées, Curro Díaz aurait connu un tout autre
après-midi. A son premier, il fut spectaculairement pris au niveau
du gilet en portant l'estocade, comme à La Brède et à Céret l'an
dernier. Une situation qu'il devra éviter à l'avenir, en
travaillant les entrées avec l'épée, car dans ces circonstances
les graves blessures ne sont affaires que de millimètres.
Quant à Alberto López
Simón, il est apparu bien loin de son épopée triomphale d'il y a
deux ans. Beaucoup de doutes, peu de technique, et certainement aussi
beaucoup trop de courses dans son agenda par rapport à ses
capacités, ce qui lui fait actuellement flamber son crédit auprès
de l'afición.
Étrangement présentés
étaient les toros de Montalvo, lourds mais souvent sans trapío.
Manquant généralement de force et de caste. Le plus typé Montalvo
fut le quatrième, "Escandaloso", un toro de cinq ans, au
pelage noir avec des tâches blanches, massif avec près de 600
kilos. Il fut bravucón et permit des choses au dernier tiers, mais
était loin du statut de grand toro.
Si la billetterie
n'affichait pas complet hier pour voir six toros de Montalvo
combattus par Curro Díaz, Paco Ureña et López Simón, il y avait
tout de même 22.000 personnes. Ce qu'aucune autre arène en Europe
ne peut contenir.
Florent