Quand j'étais petit, les soirs d'été
parfois en regardant la télé, je rêvais de voir un reportage
évoquant un après-midi de toros. Un reportage qui conterait la
dernière dépêche d'un grand triomphe ou d'un après-midi
d'exception. Il y en eut très peu, voire même pas du tout. D'autres
sujets ont toujours été privilégiés par les grandes rédactions.
Les jours ont beau défiler, au rythme
de ce début d'été, mais le coeur est encore lourd ce soir. Vifs
sont les souvenirs d'Iván Fandiño, durs et insupportables sont les
écrits et les paroles stupides. Mais même si cela semble dur, il
faut, au maximum, tenter de faire abstraction.
Nombreuses aussi sont les images qui
reviennent du maestro. Curieusement, une bonne partie est consacrée
à la concentration qu'il avait chaque après-midi avant d'entrer
dans l'arène. En s'isolant dans les coulisses, fixe et au regard
fermé. J'ai retrouvé celle-ci, datant de la Madeleine 2013 à
Mont-de-Marsan. Iván Fandiño, dans ces circonstances, était
toujours imperturbable.
Cette attitude, c'est une splendide
illustration de la "solitude sonore du toreo" de José
Bergamín. Solitude, concentration, dans l'ombre, avant de déployer
au grand jour tout le talent et la détermination. Un grand torero
dont quelque chose dit aujourd'hui qu'il ne faudra jamais cesser de
chanter son courage et ses vertus.
Gaoneras face au toril, doblones, ces
passes en pliant le genou, une muleta ferme, des estocades en
s'engageant avec une incroyable sincérité. Maître des épées
qu'il était. Iván Fandiño a tellement donné dans l'arène, à
vouloir transmettre et émouvoir. Mais aujourd'hui encore, c'est très
dur.
A Mont-de-Marsan, son nom est gravé
sur l'affiche de la prochaine feria, à laquelle il ne pourra
malheureusement pas prendre part. Mont-de-Marsan, l'une de ses
arènes, dont il avait gagné l'admiration un soir de 2012, sous un
ciel gris et électrique, en affrontant avec verve un toro de Fuente
Ymbro. Deux oreilles de catégorie.
Pas plus qu'il ne reviendra à Madrid,
où il lui arrivait parfois d'appeler les toros de loin, quel que
soit le fer sur la cuisse.
Voir des toreros et les apprécier,
c'est entrer dans un monde différent. Torero, après tout, est un
métier qui existe seulement dans quelques régions de la planète.
Des hommes qui vivent l'aventure à fond, à une époque où d'autres
affirment que cela n'a plus sa place.
Mais les journaux, eux, pourtant, ne
cessent jamais d'abreuver leur audience de faits divers, et de
sensationnalisme qui attire l'oeil curieux. Dans les grandes
rédactions, il est peu souvent question de tauromachie, sauf quand
il s'agit de drames. Et l'on en revient à cette histoire
d'informations construites autour des faits divers.
Époque bizarre, où aussi, les
considérations sociales régissent pratiquement tous les
compartiments des scènes du quotidien.
Sauf quand les yeux sont rivés sur
l'arène, sur les hommes en habits de lumières et sur les toros. Là,
l'atmosphère nous fait, à beaucoup, oublier qui nous sommes. Ce
qu'il y a en bas, c'est un combat. Un truc à part.
Dans le combat, alors que beaucoup ont
en idéal la tauromachie andalouse, raffinée, esthétique, Iván
Fandiño s'est fait une place dans le coeur des aficionados. Lui le
Basque, le torero du Nord. Avec force, grand courage, et émotion
dans tout ce qu'il faisait.
Lui qui nous a tant fait vibrer
aujourd'hui nous fait pleurer.
Il arrive, dans certaines
circonstances, d'entendre dire que la génération de toreros
actuellement en activité est décevante et perfectible. Mais rien
que de l'époque de Fandiño, on remarque que beaucoup de toreros nés
au début des années 80 forment une incroyable génération. Des
toreros qui ont tous connu des passages à vide avant de revenir sur
le devant de la scène. Une génération dont faisait partie Iván
Fandiño, et dans laquelle on compte aussi Manuel Escribano, Emilio
de Justo, Alberto Aguilar, Sergio Aguilar, Paco Ureña, Alberto
Lamelas, et tant d'autres. Tous différents, mais qui au moins un
jour dans une arène, ont transmis une intensité rare.
Si les aficionados chantent leurs
mérites, ce n'est pas le cas des journaux télévisés de 20 heures.
Tant pis. Il ne faut pas oublier que c'est l'afición qui pousse les
toreros. La perte d'Iván Fandiño paraîtra toujours aussi cruelle.
Mais parce que lui, et d'autres, sont partis, il faut que l'histoire
continue. Quel meilleur hommage que de voir d'autres toreros prendre
la relève, et honorer avec splendeur cet héritage. Il conviendra de
les saluer, et de dire à quel point ils auront été remarquables,
sur le moment. Mais pas après. Car après, hélas, c'est trop tard.
Florent