Partir à l'aventure. Comme Fabrice
Torrito, né en 1964 à Nîmes, la veille d'une corrida des
Vendanges. Signe du destin. De ceux qui ne trompent pas.
Partir de loin surtout, car je n'ose
même pas imaginer l'état dans lequel ce dernier a récupéré
l'élevage du Marqués de Albaserrada il y a quelques années. Un fer
qui devait être, comme on peut l'imaginer, dans une situation plus
que délicate et précaire.
Et puis, savoir ce français partir un
jour en Andalousie, élever des toros d'origine Pedrajas, et tenter
de relancer la machine, cela a de quoi attirer l'attention. Soit il
est fou, soit il a vu la lumière, ou bien dans le monde des
passionnés et des rêveurs, il tient le haut du pavé.
Car dans l'origine Pedrajas cette
dernière décennie, on est plus proche du vide que d'autre chose. Il
paraît qu'il reste encore quelques bêtes chez Isaías y Tulio
Vázquez, mais en revanche, chez Guardiola, avec la fameuse devise de
María Luisa Domínguez Pérez de Vargas, hélas, plein de fois
hélas, le crépuscule est tombé.
Il faut être un peu fou aussi pour
envoyer un lot de toros aux arènes de Tafalla. La petite ville de
Navarre, qui possède une très belle feria avec encierros et
corridas, n'est pas la plus regardante qui existe sur la rigueur des
combats de chaque toro.
Tafalla, dont au mois d'août la
campagne aux alentours est de couleur paille, a une superbe plaza,
bâtie au XIXème siècle. Pour les combats de chaque toro, malgré
tout, le club taurin local essaye d'imposer du sérieux ces dernières
saisons, et c'est une initiative remarquable. Après le paseo de la
corrida de Marqués de Albaserrada du 15 août, la présidence
annonça au micro qu'aucun tiers de piques ne serait changé avant
deux rencontres au minimum. Le même message était affiché à
l'intérieur du callejón sur de petites pancartes afin d'en avertir
les picadors et cuadrillas. Curieusement, à l'écoute du message de
la présidence, la moitié des picadors au moins se mit à rire et à
pester. Comme si c'était un fardeau, alors qu'il s'agit simplement
d'une volonté de tirer les débats vers le haut. Réagir ainsi, et
plus tard piquer les toros de très mauvaise manière pour la plupart
d'entre eux, c'était se tirer une balle dans le pied.
Dix jours à peine après la novillada
de Riscle, forte mais dénuée de tout moteur d'après les présents,
une vraie et déchirante déconvenue comme en ont connu au moins une
fois dans leur existence tous les ganaderos, Fabrice Torrito faisait
combattre à Tafalla une course sérieuse et âgée dans sa majorité.
Des poids lourds, qui auraient
certainement pu franchir le toril des plus grandes arènes. Ils
sortirent, pour pas mal d'entre eux, avec des pointes abîmées du
fait des manoeuvres successives : desencajonamiento, encierro,
enchiqueramiento...
Les quatre premiers, imposants et âgés,
eurent tendance à s'arrêter vite dans le combat et à se défendre
sur place. Il y avait face à eux un cartel sans rien de pimpant. Le
catalan Serafín Marín, qui doit certainement songer au fait qu'il
aurait pu avoir une autre carrière, le castillan Joselillo, et le
colombien José Arcila, un torero méconnu.
Ce qui n'est écrit sur aucune pancarte
en revanche, pour les toreros, c'est que Tafalla est une arène où
en règle générale on ne fait pas le pas de plus. Certes, le danger
existe dans chaque arène, mais les toreros réfléchissent
probablement à la répercussion que pourrait avoir une prestation en
se jouant la vie pour de vrai au centre de la plaza de Tafalla. Un
écho sûrement minime, et on a quand même tendance à le remarquer
chaque année à Tafalla.
Sauf si tu t'appelles José Miguel
Pérez "Joselillo", et qu'avant une corrida la veille à
Cenicientos (!), cela faisait onze mois que tu n'avais pas mis
d'habit de lumières. Joselillo, qui possède une bonne situation
dans le civil, est un torero d'afición débordante, à l'ancienne,
avec un répertoire sec, rustre et sans élégance, mais avec une
terrible envie de bien faire. Il le montra déjà face au deuxième,
difficile et qui balançait de sacrés coups de tête, puis au
cinquième, un toro encasté et intéressant. Encasté fut aussi le
sixième toro pour le colombien Arcila. Dommage que celui-là ait été
mal abordé, mal piqué, et soit reparti inédit. Au moins deux toros
pour garder espoir, rêver encore, et se dire que dès le départ,
Fabrice Torrito avait eu raison d'y aller. Y aller, et se battre pour
une si belle cause. Celle des toros puissants, mobiles, aux armures
fines, et redoutables, et en rêvant qu'un jour, peut-être lointain,
au cours d'un même après-midi, il en sorte six braves.
Florent