Mais pour aller à Garlin, il faut
passer par Aire. Pour la première fois depuis ce foutu 17 juin 2017.
A Aire, là où coule l'Adour, il y a cette longue allée, et au bout
les arènes. En les regardant, on a encore du mal à réaliser le
malheur qui s'y est tramé. Une plaza de toros reste une plaza de
toros, mais celle-ci, comme un vaisseau en béton, les jours de
pluie, où il n'y a pas de corridas, n'offre guère un paysage
joyeux. Il faut dire aussi que l'architecture des années 70, et
l'urbanisme de cette époque-là en général, n'a pas fait que des
choses heureuses. Mais l'on retournera voir des toros et des toreros
à Aire, bientôt.
Pluie constante donc ce dimanche matin,
sur le chemin de Garlin. De quoi craindre un effet sur le déroulement
ou non des deux courses de la journée. En Espagne, ces derniers
temps, il pleut beaucoup... sur les guichets aussi serait-on tenté
de dire. Car pas mal de corridas de l'autre côté des Pyrénées ne
sont plus annulées au moment du paseo à cause de la flotte, mais
quelques jours auparavant pour cause de "prévisions
météorologiques de pluie". A Garlin, le temps très maussade
n'a découragé personne, pas même le public, et encore moins les
organisateurs qui se sont longuement démenés afin de remettre la
piste en état.
En appréciant les sorties de Pedraza
de Yeltes, qui est encore un élevage récent, avec tant de vueltas
aux toros, tant de saluts ou de vueltas du mayoral, et tant de
distinctions en fin de saison... on ne peut s'empêcher de penser...
à ce qu'étaient les Guardiolas. Jusqu'à quatre fers dans la maison
Guardiola. Deux d'origine Villamarta, et bien sûr deux d'origine
Pedrajas, dont le célèbre fer de María Luisa Domínguez Pérez de
Vargas, plusieurs galeries de trophées à lui tout seul. Toutes
proportions gardées, Pedraza de Yeltes aujourd'hui, rappelle
l'épopée et la régularité des Guardiolas. Ce n'est pas la même
origine, ni la même morphologie, mais il y a pas mal d'éléments en
commun qui entraînent la comparaison.
Des six novillos combattus à Garlin
hier après-midi, dans l'ordre Campeador, Medicito, Tontillo,
Pomposito, Huracán, Fantasioso, aucun ne fut médiocre, et tous
avaient du relief. Une belle et grande novillada, sérieuse en
prestance, avec des novillos hauts, longs, et cette morphologie qui
distingue Pedraza parmi tant d'autres élevages. Ces carcasses qui
sont de loin reconnaissables.
Beaucoup de novillos hier furent
applaudis à leur entrée en piste, et encore plus au moment de
l'arrastre. Tour de piste au brave troisième "Tontillo".
Des novillos qui malmenèrent la cavalerie, désarçonnant parfois
les cavaliers, et supportant en tout cas les longues piques parfois
administrées. Ensuite, de la mobilité, de la caste, de la vivacité,
et une noblesse exigeante qui donne beaucoup de relief.
Sur une piste pas forcément évidente
à cause de la pluie, les Pedraza ont laissé cinq oreilles, plus ou
moins généreuses et justifiées. Mais il faut en tout cas opter
pour davantage de novilladas, et aller en voir. Parce que c'est
l'avenir, et puis un lot de novillos qui bouge avec en face trois
jeunes aux styles différents, c'est toujours d'un grand intérêt.
Angel Jiménez s'était qualifié au
cours de la fiesta campera matinale, avec déjà derrière lui de
longues années en novilladas piquées. Il est annoncé pour le mois
de juillet à Céret, et hier matin, il l'emporta face à son
concurrent Rafael González, homonyme du banderillero et ancien
matador... qui avait pris l'alternative en 96 à Céret. Lors de la
novillada, Angel Jiménez développa un style très sévillan, avec
de beaux gestes, du temple, de la profondeur, et par moments un peu
trop de marge dans la distance avec ses adversaires, mais il coupa
deux fois une oreille et laissa une bonne impression.
Antonio Grande, de Salamanque, est à
revoir et doit acquérir plus de métier. Faenas longues malgré de
la volonté, un lourd accrochage à son second, et surtout une bonne
épée lors de son premier combat, ce qui lui permit d'obtenir un
trophée.
On constate que le béarnais Dorian
Canton fait venir du monde aux arènes, autant à Mugron lundi
dernier qu'à Garlin hier. Et il est un novillero surprenant. A tout
juste 17 ans, il affrontait hier deux adversaires au volume beaucoup
plus proche du toro que des erales et de la catégorie des non
piquées qu'il vient tout juste de quitter. Au troisième "Tontillo",
si l'épée lui fit défaut, c'est là qu'il laissa les meilleures
sensations. On ne l'attendait absolument pas à un tel niveau
technique, et aussi avec un tel courage, en restant avec beaucoup de
quiétude face aux charges vives d'un brave Pedraza. Il sut donner la
distance dans les cites au cours de cette faena, et se fit
sérieusement soulever, heureusement sans conséquences, avant
d'enchaîner sur une très bonne série droitière. Là, en estoquant
bien, il aurait déjà eu un beau triomphe.
C'est le dernier Pedraza, longuement
piqué, qui lui permit de repartir avec deux oreilles, largement
plébiscitées par les gens qui avaient fait le déplacement pour le
voir. Mais l'on ne va pas gueuler, car après tout, le "paisanaje",
c'est-à-dire l'appui au torero ou novillero du coin, est quelque
chose qui a toujours existé en tauromachie, aux quatre coins de la
planète taurine. Dorian Canton doit avancer pas à pas, mais il
semble, malgré son très jeune âge, techniquement prêt, avec
quelques réglages supplémentaires, pour des rendez-vous importants,
et devant des élevages variés.
Quant à celui de Pedraza de Yeltes, il
a permis une fois de plus de passer un après-midi sans ennui.
Florent
(Photo de Niko Darracq)