On assiste, de nombreuses fois par an,
à des démonstrations en piste de ce don qu'ont les toreros de se
surpasser. Ce stoïcisme, cette manière si spécifique d'oublier
l'adversité, comme si de rien n'était. L'inverse de la vie normale,
du moindre bobo domestique qui implique soupes de dolipranes,
camomilles et verveines.
Enrique Guillén, dernier matador à
avoir pris l'alternative à Barcelone, est l'apoderado du français
Maxime Solera. Après avoir arrêté sa carrière, il s'est mis à
consacrer son temps aux jeunes toreros catalans et d'ailleurs, pour
désormais toujours jouer à l'extérieur, car les corridas en
Catalogne n'existent plus. Enrique Guillén avait toréé en 2007 à
Boujan-sur-Libron, dans autre une arène démontable, beaucoup plus
rudimentaire que ce que l'on connaît en matière de plazas
portatives. Ce jour-là, son premier novillo avait quitté la piste,
pour se retrouver au beau milieu des spectateurs. Soirée dramatique,
un aficionado de Béziers, encorné, n'avait pas survécu à
l'opération à l'hôpital. Cette histoire, peu médiatisée à
l'époque, aurait certainement conduit à un gros foutoir aujourd'hui
au niveau des infos et de la rubrique faits divers. Toutefois, il y
avait eu un jugement et des condamnations pour manquement aux
obligations de sécurité. Heureusement, cette histoire n'a pas mis
fin à la tauromachie à Boujan, mais cela aurait pu être le cas par
les temps qui courent.
Enrique Guillén raconte, de cet
après-midi médiéval, qu'il avait été obligé d'estoquer le
novillo hors de l'arène, sur un terrain de sport. Et quand ce fut
chose faite, en revenant vers les arènes, secouées par le chaos,
lui et sa cuadrilla furent ovationnés, comme les héros qui
reviennent au village après la bataille.
Ce week-end, la bataille était
importante pour Maxime Solera, son protégé. Un rendez-vous double,
samedi et dimanche, avec Hoyo de la Gitana et Raso de Portillo. Ses
deux premières novilladas de l'année, car il dut renoncer aux
précédentes à cause d'une blessure et d'une longue convalescence.
Avant que ne commence cette feria de Boujan, on pouvait se demander,
et après tout, si ces longs mois avaient apporté des doutes ?
Emporté la fraîcheur ? Tout ce que l'on peut redouter dans la
carrière d'un jeune torero confronté à une situation difficile. En
plus, la tâche n'était pas des moindres, avec des élevages dont
beaucoup de matadors n'envisageraient même pas d'en combattre un
lot.
L'entrée en matière de Maxime Solera
ne laissa aucune place au doute. Au centre de la piste, face au
toril, les pieds cloués au sol, pour des tafalleras, puis des
gaoneras, faisant passer le novillo très près du corps. Sur la
dernière, le novillo crocheta Maxime Solera avec la patte, avant de
le reprendre de manière terrible. Un accrochage qui laissera des
contusions sur tout le corps, mais le novillero restera en piste,
pour mener le combat à bien jusqu'à sa fin. Après un long passage
à l'infirmerie et un ordre de passage changé, il revint affronter
son second adversaire en sixième position. La novillada de Hoyo de
la Gitana – un élevage que l'on voit peu à l'heure actuelle –,
charpentée, peu armée, a manqué de puissance et de continuité.
Les six novillos, bravitos en quinze rencontres au cheval, se sont
généralement éteints. Certains nobles, d'autres très vites
arrêtés. Et face au sixième, on vit le sérieux et la volonté de
fer de Maxime Solera, dès l'accueil à la cape, et dans une
tauromachie l'emmenant fouler des terrains risqués. Oreille méritée
pour conclure l'après-midi.
El Adoureño a obtenu un trophée, et
il a été mieux que toutes les autres fois depuis le début de
saison. Mais la marche vers son alternative de septembre à Dax
semble encore extrêmement haute. Quant au biterrois Carlos Olsina,
dont c'était seulement la troisième novillada piquée, il
s'accrocha avec courage et un bagage technique restreint devant un
lot compliqué et arrêté, mais avec toujours le désir de bien
faire.
L'intermède entre les Hoyo de la
Gitana et les Raso de Portillo fut la non piquée de Robert Margé du
dimanche matin, où se révéla le nîmois Niño Julián, épatant de
sens torero pour son très jeune âge, à la cape, aux banderilles et
à la muleta.
Le soir, les Raso de Portillo, bien
présentés et armés, ont été plus nobles que d'habitude. Braves
en dix-huit rencontres au cheval, en poussant droit et fixement, ce
qui n'est pas rien ! En comparant les sorties de cet élevage en
corridas et en novilladas, on se dit que la place des Raso de
Portillo est dans les secondes, et que c'est à cet échelon qu'il
doit avancer.
Des novillos nobles pour la plupart,
caractéristique aléatoire dans cet élevage, chose dont les
novilleros devaient dès lors profiter.
Le premier d'entre eux, Alejandro
Fermín, fut violemment pris par le quatrième Raso de Portillo, sur
un cambio au centre de l'arène en commençant la faena. Le Raso de
Portillo, aussi noble soit-il, n'est pas le genre de toro permettant
ce geste. Heureusement, Alejandro Fermín retomba bien de cet
accrochage vertigineux, et put continuer sa faena... bien trop
inégale en intensité. Il avait auparavant fait, au novillo
précédent, un joli quite.
Le deuxième novillero, c'était Maxime
Solera, revenu contre l'avis des médecins. Et malgré ce mal
physique et cette boiterie qui le handicapaient, il a été très
courageux, hiératique, et lidiador. De son premier combat devant un
novillo exigeant, on apprécia son honnêteté, cette façon d'être
centré, et de citer les toros de face. Avec patience d'ailleurs, car
le Raso de Portillo n'était pas évident. Une oreille lui fut
accordée après une bonne estocade. Avec le cinquième, brave au
cheval mais très arrêté ensuite, Maxime Solera tenta tout, avant
de connaître des difficultés à l'épée. Mais il avait tenu à
honorer cette double prestation, malgré la blessure, comme si de
rien n'était. Un sacré geste. Un geste de torero.
Enfin, Cristóbal Reyes, assez peu vu
en France jusqu'à présent, a montré une double facette. Avec des
difficultés face au troisième, du fer d'El Quiñón, qu'il estoqua
d'une grande épée en s'engageant pour de vrai. Et avec de la
sérénité face au dernier, brave au cheval mais en s'employant
surtout à la première rencontre, noble et mobile par la suite. A
celui-là, Cristóbal Reyes, qui est de Jerez, laissa de très beaux
gestes, surtout de la main gauche, avec des naturelles très
inspirées. Vraiment une bonne impression de la part de ce jeune
novillero qui obtint lui aussi un trophée, et qui mérite bien mieux
que la seule novillada qui lui reste à combattre cette année en
France.
Il en faut plus des novilladas, et
surtout des novilladas comme celle-là. C'est primordial pour
l'avenir. Et puis, contrairement aux idées reçues, qui voudraient
que la tauromachie moderne soit plus facile pour absolument tous ses
protagonistes, être novillero est en réalité quelque chose de très
compliqué. Peu d'opportunités, moins de novilladas qu'avant, et une
exigence du public qui en attend d'eux parfois autant voire plus que
pour les matadors d'alternative.
Grand mérite à ceux qui aujourd'hui
s'aventurent sur ce chemin. Et encore plus à ceux qui prennent les
dures...
Florent
(Photo d'Alexandre Blanco : Maxime
Solera face au premier novillo de Hoyo de la Gitana, le 30 juin à
Boujan-sur-Libron)