
Jacques
Durand auquel on a récemment annoncé la fin de son habituelle
chronique dans Libération d'ici le mois de juillet. Cette chronique,
qui est un monument de culture taurine à elle seule, existait depuis
1987. Et depuis quelques années, elle n'était disponible que dans
les éditions du Sud de la France. Toutefois, on pouvait la retrouver
et la lire par d'autres moyens.
Cette
chronique est comme un symbole, parce qu'elle figure dans un média
d'envergure nationale. Et surtout parce qu'elle est l'oeuvre de
Jacques Durand. Une plume unique, inimitable, un grand niveau
littéraire, beaucoup de culture, et aussi de la précision dans les
évènements historiques. Je dois reconnaître qu'il y a un
inexplicable parfum de nostalgie à la lecture de Durand lorsqu'il
évoque des choses que je n'ai guère connu. Jacques Durand, à côté
de qui on se sent si petit lorsqu'on le lit, semble avoir toujours
écrit au service de la tauromachie, cette passion dévorante.
A
l'heure où l'actualité en temps réel est une broyeuse à laquelle
on ne peut échapper, où les journalistes sont devenus esclaves des
sujets d'actualité qu'ils commentent, en tentant par dessus tout de
transmettre voire d'inoculer une idéologie, qu'ils soient de droite,
de gauche, verts, ultra-libéraux ou que sais-je... Cette chronique
taurine, hebdomadaire ou mensuelle selon la saison, apparaissait
comme un oasis en plein désert. Voir le thème de la tauromachie
abordé par Jacques Durand n'avait rien de lassant, et offrait même
une part de rêve et d'évasion.
Tandis
qu'à la lecture de n'importe quel média de presse écrite,
d'actualité généraliste, peut-on rêver devant tant de conformisme
et de platitude ?
Mettre
fin à la chronique de Jacques Durand dans Libération, c'est
sûrement un réflexe du parisianisme ambiant.
Mais
je ne vais pas continuer à accabler les barons de l'information, de
l'actualité, du buzz, de la bonne-et-saine-pensée, puisqu'ils me
conduiraient presque à la misanthropie. Je préfère parler de
Durand et de ses écrits.
Quand
j'ai appris cette infâme nouvelle, j'ai immédiatement pensé aux
textes marquants de ce critique.
Je
me souviens notamment d'une année en revenant d'Arles, où après
une corrida avec moisson d'oreilles et des toros à la banalité
confondante, beaucoup avaient entre-temps écrit et cajolé
l'exceptionnel, l'inoubliable, l'historique. Et puis, la chronique de
Durand m'avait atterri dans les mains, j'ai eu l'impression d'y
trouver une sorte de vérité vraie,
un trèfle à quatre feuilles.
Je
me rappelle aussi d'une photo d'un novillo de Dolores Aguirre à la
Saint-Férreol de Céret 1995 propulsant dans les airs le cheval et
le picador lors du premier tiers. Quand on lit la chronique de
Jacques Durand de cette course, on a l'impression que le passage
suivant est totalement en harmonie avec l'image : "A la
cinquième rencontre, à la seule force de son cou, il soulèvera à
un mètre de hauteur le cheval, le picador, le Vallespir, la gare de
Perpignan et le département des Pyrénées-Orientales".
D'ici
l'été, il est fort probable que la chronique dans Libération ait
cessé d'exister. Cependant, j'espère bien que l'on pourra lire
ailleurs et encore longtemps les textes de Jacques Durand.
Au
fond, un média d'ampleur nationale, quel qu'il soit, mérite-t-il
vraiment de comporter Jacques Durand dans ses rangs ? Surtout à une
époque où les journalistes et les directeurs se croient libertaires
et libérés, mais ne seront pourtant jamais affranchis.
Florent
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