Sauf que ce n'était pas
un roman. Quand José Cubero "Yiyo" est
accroché par la corne de "Burlero"
de Marcos Núñez, le 30 août 1985 à
Colmenar Viejo, il n'a que vingt-et-un ans.
Il est
surprenant comment cette histoire a pu marquer une génération qui
n'a jamais vécu ce moment, n'a jamais vu toréer le Yiyo de ses
yeux, et l'a simplement découvert a posteriori.
Je
dois reconnaître que la mort du Yiyo me touche dans tout ce qu'elle
est et ce qu'elle représente. Manolete lui aussi est mort d'un coup
de corne, mais c'est une époque bien plus lointaine, aux images en
noir et blanc. D'ailleurs, la figure de Manolete a quelque chose de
légendaire qui la rendrait presque irréelle. En fait, la mort de
Manolete a certainement marqué davantage des générations
antérieures. C'est peut-être à la fois con et absurde de comparer
les deux, parmi de nombreux coups de corne mortels, mais celui du
Yiyo, lui, semblera toujours proche de nous.
Des clichés en couleur,
en mouvements, et l'image douloureuse d'une jeunesse qui meurt. Dans
sa chronique de l'époque, la semaine suivant la corrida, Jacques
Durand avait titré "Yiyo,
la mort en plein cœur".
Il y évoquait Colmenar Viejo, cette ultime
corrida, et les hasards du destin. Car avant de partir à l'âge de
vingt-et-un ans, le Yiyo avait déjà été confronté à un drame.
C'est lui qui en 1984 à Pozoblanco, avait eu à estoquer "Avispado"
de Sayalero y Bandrés, le toro qui ôta la
vie à Paquirri. Le Yiyo, aussi, ne devait pas toréer cette corrida
de Marcos Núñez à Colmenar Viejo, le 30 août 1985. Jacques Durand
avait terminé sa chronique par "Cela
ressemble à un roman de gare, sauf que ce n'était pas un roman".
Depuis 1985, les arènes
de Colmenar ont été modifées et agrandies. Seule la piste est
toujours la même. L'histoire du Yiyo, elle, touchera toujours les
jeunes aficionados, parce qu'un toro a emporté la vie de ce jeune
visage.
Un coup de corne l'a
rendu blême. Coup de corne irrémédiable, quel cauchemar. On prête
quelques derniers mots au Yiyo, sans qu'il n'ait eu le temps de dire
au revoir, puisque tout est allé tellement vite ce soir-là.
Alors cette histoire,
sans pour autant l'avoir vécue, donne l'impression qu'elle s'est
déroulée hier. Elle est dure, car au moment de la corrida de
Colmenar Viejo, la carrière de José Cubero était déjà
florissante. Et puis, vingt-et-un ans... Putain, c'est jeune !
"Burlero"
était le sixième toro de cette corrida. D'habitude, pendant la
faena du sixième, tout le monde commence à remballer les affaires,
prêt à partir. Le toro va être estoqué, puis va tomber, et les
cuadrillas vont s'en aller. Yiyo estoque donc "Burlero"
comme prévu, mais les choses ne se passent pas comme
d'habitude. Les deux autres toreros et les cuadrillas vont rester-là
un peu plus longtemps, inconsolables, à verser des larmes.
José Cubero "Yiyo"
était né en 1964 à Bordeaux. Une part de
France en lui qui le rapproche encore un peu plus de nous. Une vie
éphémère pour une histoire éternelle.
Dans
l'arène, carrière et vie se rejoignent, et elles peuvent s'arrêter
en même temps, exactement au même moment.
Ce qui
constitue un drame pour les aficionados sera toujours un simple fait
divers pour les personnes extérieures, qui n'ont jamais été
tentées par cette passion-là, celle de la tauromachie. Mais il
faudra toujours tenter d'expliquer ces histoires-là, et les
maintenir vives, parce que l'oubli est impossible.
A
l'échelle du temps, trente ans après, pour les aficionados, cette
histoire fait toujours quelque chose quand elle est évoquée. Elle
donne en tout cas envie de défendre la tauromachie contre vents et
marées, une passion et des souvenirs, car sa vérité n'a aucun
aspect superficiel. L'histoire du Yiyo, elle, est authentique et
éternelle.
Florent
(Image d'archives : José
Cubero "Yiyo"
au paseo des arènes d'Hagetmau, âgé de
seize ans, le 4 août 1980)