C'est enfoncer une porte
ouverte d'affirmer que la tauromachie repose sur un système injuste.
Cela vaut autant pour les élevages que pour les toreros. Il y a ceux
qui sont programmés du début à la fin de la saison, et puis il y a
les autres, qui doivent se contenter des miettes.
Si elle était un sport,
la tauromachie serait la seule discipline où une éclatante victoire
ne vaut pas automatiquement qualification pour le tour suivant de la
compétition.
Ressassez les noms de
toreros qui ont connu le succès, auraient mérité d'être revus,
mais sont tombés aux oubliettes, malgré leur potentiel et leurs
qualités. Il en existe pas mal. Emilio de Justo devrait être un de
ceux-là.
On dit parfois que l'on
n'a "jamais aussi bien toréé qu'à l'heure actuelle". Une
affirmation absurde, tout d'abord parce qu'elle n'est pas vérifiée,
et puis parce qu'il est inutile de comparer les époques, les toros,
les toreros et les publics. Ce dicton aurait même tendance à
maintenir l'hégémonie de ceux qui se partagent la plus grande part
du gâteau. Et pourtant, ce n'est pas injurier ces vedettes que de
dire qu'il arrive de voir toréer mieux qu'elles. Magie de la
tauromachie, de l'incertitude, et de la motivation de toreros prêts
à tout pour aller au bout de leur rêve.
Ces derniers sont
essentiels pour le renouvellement dans la corrida, pour son maintien
et son avenir.
Sur l'affiche d'Orthez au
mois de juillet, assez déloyalement concurrencée par une autre
corrida de registre torista le même jour à Mont-de-Marsan, c'est le
nom d'Emilio de Justo qui apparaissait en troisième pour affronter
les toros d'Hoyo de la Gitana.
Et déjà, quelques
semaines avant cette corrida, on pouvait noter la confusion dans
certains esprits. Pas mal avaient un sentiment de déjà vu, avec en
tête le nom de "Justo". Mais ce n'était pas le même ! Le
grand, il s'agit d'Alvaro Justo, né en 84, torero de la région de
Madrid, et qui avait été plus qu'un espoir dans les années 2000.
Leader du classement en 2004, avec en prime une sortie en triomphe à
Madrid. Malheureusement, au fil des années, et après avoir pris
l'alternative, Alvaro Justo a disparu de la circulation.
Pour Emilio de Justo, qui
n'a pas de lien de parenté avec le précédent, né en 83 en
Extrémadure, c'est un peu (voire beaucoup) le chemin inverse. Emilio
de Justo n'a toréé qu'une seule fois en France en novillada,
c'était en 2006 à Garlin. Alternative en 2007 chez lui à Cáceres,
confirmation à Madrid en 2008 avec honneur face aux Juan Luis
Fraile, et une oreille à Madrid en 2009 ! Mais en 2010, en pleine
San Isidro, Emilio de Justo affronte une corrida de Los Bayones, se
plante, et entend les trois avis ! Les arènes étaient pleines ce
jour-là. Et c'est le purgatoire qui suivit, l'obligeant à toréer
uniquement en Extrémadure les saisons d'après, sauf une année où
il alla au Pérou.
Il est difficile pour un
torero de rebondir après un tel coup du sort. Pourtant, Emilio de
Justo a ensuite retrouvé le succès dans de petites arènes. Et en
2015, il a même toréé un seul contre six à Hervás, dans la
région de Cáceres, face à des toros d'origines différentes. Un
grand triomphe, mais qui ne lui laissera incompréhensiblement aucun
contrat pour la saison suivante en Espagne.
Alors quand il torée en
juillet 2016 à Orthez, c'est sa toute première corrida de l'année.
Les présents racontent que la corrida d'Hoyo de la Gitana, ce n'est
pas de la tarte, mais qu'Emilio de Justo se débrouille et s'accroche
pour glaner deux oreilles et une sortie en triomphe, la première
pour un matador depuis 2008 à Orthez.
Un triomphe qui n'est pas
sans lendemain pour Emilio de Justo, puisqu'il se retrouve à
l'affiche de la corrida de Victorino Martín début octobre à
Mont-de-Marsan. La chance semble être revenue par rapport aux
dernières saisons. Le toro du succès s'appelle "Vencedor"
de Victorino Martín. Emilio de Justo est en pleine confiance, tandis
que c'est seulement sa deuxième corrida de la saison. On le voit dès
les passes de cape et les mises en suerte appliquées. Cela se
confirmera à la muleta, avec classicisme, authenticité, courage et
pureté. Deux oreilles après une faena brève et intense. Peut-être
pas jusqu'à une ressemblance, mais il y a au moins des airs de José
Miguel Arroyo "Joselito" chez cet Emilio de Justo. Des airs
rassurants, ceux de la maîtrise, sans aucune précipitation.
L'hiver dernier, nul
n'aurait pu prédire qu'Emilio de Justo allait recevoir en fin de
saison des distinctions le considérant comme triomphateur. Nul
n'aurait même parié le voir annoncé sur une affiche. Et pourtant,
grâce à deux corridas, Emilio de Justo a de quoi regarder l'avenir
avec davantage de sérénité, loin des périodes de vaches maigres.
Il sera particulièrement attendu en 2017, à l'égard des prix
décernés, mais aura certainement à coeur d'aller plus loin et de
ne pas en rester sur ces deux succès...
Florent
(Image de Laurent Bernède : Emilio de
Justo le 1er octobre à Mont-de-Marsan)