Merci,
gracias, obrigado, et tout ce que vous voudrez. Cette histoire
dépasse toute imagination. L'entendre parler de ses toros, dans un
français parfait, au vocabulaire soutenu, et avec l'accent du
Portugal dans chaque mot, était aussi savoureux que génial. Il
s'est éteint hier. De son nom complet, il s'appelait Dom Fernando de
Castro Van Zeller Pereira Palha, et filait vers ses 84 ans. Une
longue vie consacrée à des toros uniques. Par commodité d'usage,
on employait le plus souvent le nom de Fernando Pereira Palha, ou
bien Fernando Palha tout simplement. Un personnage.
Ses toros sont
de ceux qui vous font lever dès leur entrée en piste, vous
émerveillent et vous font applaudir. Tellement beaux, peut-être
même les plus beaux qui existent. Des toros rares, aux pelages
multicolores, représentants de l'encaste Vázquez, que l'on dirait
tout droit sortis de vieux tableaux. Admirer, applaudir, et se dire
avec grand plaisir que cela existe encore. L'histoire de Fernando
Palha commence près de Lisbonne, à Vila Franca de Xira, avec le
rêve de faire vivre encore les toros de ses ancêtres, les mythiques
Palha. Une histoire dont Fernando Palha disait qu'elle devait
beaucoup à son beau-frère, David Ribeiro Telles, qui avait sauvé
une vache de l'abattoir, "Chinarra", à l'origine de
l'élevage actuel.
Dans son
parcours de ganadero, Dom Fernando Palha a débuté à Céret avec
une novillada, un matin de juillet 1994. De l'ADAC de Céret et de
Fernando Palha, on peut dire qu'ils se sont bien trouvés, et qu'ils
étaient faits pour se rencontrer. Des pensées communes. D'ailleurs,
on ne parlerait peut-être pas autant de Fernando Palha aujourd'hui
en France s'il n'y avait pas eu cette histoire avec Céret. De même,
cet élevage a beaucoup contribué à la réputation de l'association
et de l'arène. Quatre novilladas piquées et trois corridas entre
1994 et 2004. Le matin du 10 juillet 1994, à la fin d'une novillada
combattue par Abel Oliva, Juan José Trujillo et Gilles Raoux, après
que le sixième, "Escardado", numéro 60, soit tombé, le
mayoral avait fait un tour de piste.
A Céret, il y
eut beaucoup de toros multicolores de cette devise. Le souvenir aussi
d'un reportage de Face au Toril, à l'été 1996, qui montrait un par
un les six toros de Fernando Palha entrer dans l'arène de Céret.
C'était le jour de l'alternative de Rafael González avec Luis
Francisco Esplá et Pepín Liria. Il y eut aussi, entre autres, ce
fameux "Levantado", numéro 210, un toro au pelage unique,
avec une tête de guerrier, le 15 juillet 2000, et dont la seule
présence sur le sable méritait le prix du billet. Hormis Céret,
les toros de Fernando Palha sont venus en France en novilladas à
Saint-Sever en 1996, Alès en 1998, Parentis-en-Born également en
1998, et bien plus tard à Orthez en 2012. On compte aussi un toro
lors d'une corrida-concours en 2003 à Floirac, pour Domingo
Valderrama.
Il ne faut pas
confondre Fernando Pereira Palha et João Folque de Mendoça, ce
dernier étant propriétaire du fer de "Palha", bien plus
fréquent et connu dans les arènes, mais dont l'origine actuelle des
toros n'a rien à voir avec ceux de Dom Fernando.
Les toros
blancs, et tachetés de plein de couleurs, de chez Dom Fernando
Palha, pourraient seulement être un truc d'esthètes. Mais il y a
autre chose derrière cela. Ils sont la force, la puissance, le
caractère et la sauvagerie. Certains diront qu'ils sont
anachroniques, archaïques, obsolètes. Au fond, ils sont surtout
nécessaires à la survie de la tauromachie. Des toros de combat,
dont le ganadero disait qu'ils devaient donner de l'émotion dès
leur entrée en piste.
A chaque début
de saison, pendant des années, on attendait de voir qui oserait
mettre sur l'affiche le nom de Fernando Palha. "Pas assez"
sont peut-être les mots qui viennent les premiers à l'esprit
aujourd'hui. Car on aurait aimé voir bien plus souvent le "F"
de cet élevage dessiné sur le sable. Pendant des années, il était
question de les programmer à Madrid au mois de septembre, pour que
l'élevage prenne son ancienneté. Beaucoup d'entre nous auraient
fait l'aller-retour, juste pour les voir et les admirer.
Dernièrement,
les toros de Fernando Palha ont le plus souvent été utilisés pour
des courses de recortadores dans le Nord de l'Espagne, une
tauromachie primitive, faite d'esquives. La possibilité de les voir
en corrida se faisait de plus en plus rare. Dommage. Il faut dire
aussi que dans certains esprits, c'est comme si cet élevage
n'existait pas...
Alors, les
voir annoncés pour la novillada d'Orthez le 21 juillet 2012 avait
été une belle et grande surprise. En plus, cela avait été une
véritable novillada, sérieuse, armée, brave, encastée et fort
intéressante. En face, l'aragonais Imanol Sánchez et le basque Iván
Abasolo (qui était sorti en triomphe) s'étaient arrimés avec grand
courage. Ce jour-là, Dom Fernando Pereira Palha, déjà diminué
physiquement, n'avait pu faire le voyage à Orthez pour voir
combattre les produits de ses rêves. Une très belle novillada...
malheureusement sans suite à ce jour, car il n'y a pas eu d'autres
corridas ou novilladas de Fernando Palha depuis. L'an dernier, un peu
par hasard, un toro de Fernando Palha s'était retrouvé sobrero à
Aire-sur-l'Adour le jour de la corrida de Juan Luis Fraile. Il
n'avait pas été utilisé et était reparti avec ses secrets.
C'est donc une
page qui se tourne avec la disparition de Fernando Palha, un
personnage extraordinaire, peut-être d'une autre époque, dont ceux
qui l'ont rencontré s'en souviendront toute leur vie. Et le plus
beau serait que ses toros, qu'il considérait comme ses fleurs, lui
survivent longtemps encore...
Florent
(Image de
David Cordero : Toro de Fernando Palha, Céret, le 15 juillet 2000)