Histoire de costumes. En
fonction des superstitions, certains toreros, parfois, se
débarrassent des habits avec lesquels ils ont connu de mauvais
souvenirs. Souvent des coups de corne. Certains le rangent, s'en
défont, le refourguent, voire même, le font cramer et disparaître.
C'est déjà arrivé.
Le costume blanc et or
avec des broderies noires de son alternative, Thomas Joubert a décidé
de le garder. Il l'utilise encore et le portait ce dimanche à
Saint-Gilles. Cinq ans après son alternative d'Arles. Une
alternative pas catastrophique du tout, mais avec un grave coup de
corne à la clé. Un second adversaire de Garcigrande partant de
vingt mètres en début de faena, et un torero littéralement
cueilli, sérieusement blessé. Temps pluvieux et triste soirée. Aux
portes de l'infirmerie, les larmes des gens d'Arles qui ont vu ce
torero grandir.
Après cela, l'agenda a
été assez peu fourni, et celui qui se faisait appeler "Tomasito"
sur les affiches a décidé un jour de ranger les costumes. Courte
carrière aurait-on pu dire à ce moment-là. Car Thomas Joubert a
toréé sa première non piquée en 2006, dans les anciennes arènes
de Saint-Martin-de-Crau. Toujours dans la même catégorie, à l'été
2007 dans le Sud-Ouest, il s'est fait remarquer à de nombreuses
reprises. Il a ensuite débuté avec picadors (coupant même une
oreille à Madrid), changé plusieurs fois d'apoderados, et pris
l'alternative début 2011, à Arles. Plusieurs années de retraite,
un retour, et une carrière à rebondissements. Mais dans tous les
cas, un espoir toujours vif du fait de sa torería et de sa façon
d'être devant les toros.
Être torero français
est à l'heure actuelle une arme à double tranchant. D'un côté, il
est moins difficile qu'en d'autres temps d'intégrer les cartels, et
d'un autre, il n'y a jamais eu autant de matadors français en
activité. Jeu de la concurrence.
Ce dimanche, l'arlésien
Thomas Joubert toréait à vingt kilomètres de chez lui, à
Saint-Gilles. Un cartel intéressant, des toros que l'on n'avait
jamais vu en France, de l'élevage de Mollalta (origine Torrealta),
et deux intéressants compagnons de cartel : Iván Fandiño et Paco
Ureña.
Cela ne devait pas
spécialement être un jour important, mais à bien y regarder,
l'affiche tenait largement la route. À
l'heure où d'autres arènes gardoises font des entrées
confidentielles, celle de Saint-Gilles repeuple ses gradins année
après année. Et c'est déjà bien.
À
vingt kilomètres de chez lui, Thomas Joubert tombe d'abord sur un
toro couleur savon, brusque, et face auquel la tâche n'est pas
franchement évidente. Le vent violent n'arrange pas les choses, mais
le torero d'Arles pose les pieds au sol, multiplie les jolis
enchaînements, frôle l'accrochage, mais y retourne pour des
naturelles de face. Certains disent que c'est la mélancolie, le
regard triste et la fragilité qui attirent chez ce torero. Ce serait
une erreur de s'en tenir à ces seules considérations. La tristesse,
loin de là, c'est surtout de la torería ! À
longueur de saison, on voit des toreros ramer pour pouvoir
transmettre, en regardant les gradins, et en prenant à témoin le
public pour faire monter la pression. Des images qui parfois désolent
et font de la peine. Il y a des toreros qui sont dans l'obligation
d'utiliser ces recours, devant des toros qui transmettent peu.
Pour Thomas Joubert,
c'est bien différent. Peu de regards vers le public, les yeux rivés
sur l'adversaire. En silence, derrière les barrières, c'est Alain
Montcouquiol qui le suit. Et l'ancien Tomasito est un torero stoïque,
qui paraît beaucoup moins fragile qu'avant. Le sixième toro,
"Estudiante", numéro 21, provoque une grande chute de la
cavalerie et vient avec beaucoup plus de transmission que ses
congénères. Thomas Joubert l'avait accueilli par delantales, en se
le faisant passer près. Ce sera aussi le cas avec la muleta, parfois
jusqu'à frôler l'accrochage, mais avec toujours le souci de toréer
calmement. Il y a là des belles naturelles, et encore des muletazos
cités de face. Autre faena inspirée, et qui ne pouvait être
réalisée sans un grand courage. Le costume blanc et or est tacheté
du sang de l'adversaire qui est passé près. L'estocade au second
essai est efficace, le toro tombe, et les oreilles aussi. Triomphe
serein, torero à suivre.
Florent