Se rendre à Vic, et forcément penser
à Manolo Vanegas. Alors que la feria allait tout juste commencer, le
matador vénézuélien a été victime d'une très grave blessure à
l'entraînement. Touché aux vertèbres cervicales, le genre de
blessure qui peut faire bien plus de dégâts qu'une cornada. Et cela
implique toujours une récupération longue, très longue. Ou perd
parfois de vue le risque qui peut exister pour les toreros quand ils
toréent sans public. Terrible blessure pour Manolo Vanegas, que l'on
espère revoir dans les arènes. Lui qui a gagné la sympathie du
public avec courage, sueur, force et sincérité. Il devait fêter à
Vic-Fezensac sa première année d'alternative, mais sa blessure, et
son absence de la feria, auront jeté un froid chez les aficionados.
Sur le papier, c'était une très belle
feria de Vic. Avec une telle sélection d'élevages et de toreros, on
pouvait s'attendre à des combats épiques, à de grands toros aussi,
et globalement à une feria plus brave. Au final, la loterie des
toros a procuré une déception. Cela tranche avec la réussite des
dernières saisons, puisque l'on voyait au moins une chose
exceptionnelle à chaque feria de Vic. Les tiers de piques ont eux
aussi provoqué ce sentiment de déception, avec des piques souvent
mal administrées. Pourtant, tous les toros ou presque de cette feria
auront été au cheval pour au moins trois rencontres.
Le picador le plus en vue, cela aura
été Laurent Langlois, qui officia très bien face au dernier
novillo d'El Retamar le samedi matin. Un novillo brave en quatre
piques, noble ensuite, mais mal exploité. Auparavant, Miguel Angel
Pacheco avait profité, avec application, et aussi de beaux gestes,
de la noblesse du troisième. L'élevage d'El Retamar, d'encaste
Núñez, et que l'on voit rarement, aura livré un lot intéressant.
Quand on ne rencontre rien
d'exceptionnel dans une arène où l'on a l'habitude d'aller, il y a
cette impression de routine, de déjà vu, même si l'on apprend à
chaque course, même quand ce n'est pas bon.
Le samedi après-midi, il y avait un
défi ganadero avec trois Valdellán et trois Los Maños. Une corrida
d'infirmerie, dans le sens où elle fut dure mais sans transmission.
Les toreros n'ont certes pas brillé, mais les toros développèrent
souvent un danger sourd et des difficultés. A la pique, les Maños
ont été les plus braves, tandis qu'un Valdellán provoqua une
grande chute de la cavalerie, avant de désarçonner le même picador
deux rencontres plus tard. Un puntillero frôla une effroyable
blessure et s'en tira avec le costume cisaillé, alors que Víctor
Hugo Saugar "Pirri" fut pour sa part sérieusement soulevé
pendant la lidia. Du genio, du danger sourd, pas forcément palpable
et dur à percevoir. Mais réel. Et souvent dans la muleta, des toros
qui s'arrêtent, et regardent. Manuel Escribano, que cela motive
certainement moins qu'à une autre époque de toréer à Vic, a posé
les banderilles à corne passée le plus souvent, mais il possède du
métier et est parvenu à s'en tirer. Le mexicain Sergio Flores a dû
faire face à un Maños brave au cheval, puis dur et très dangereux
au dernier tiers. Enfin, chez Sebastián Ritter, qui toréait pour la
première fois en France comme matador, on a relevé un évident
manque de pratique, mais pas de courage.
Pour la corrida-concours du dimanche
matin, on a encore pu apprécier les qualités de lidiador de Domingo
López-Chaves. Face au seul toro intéressant de la matinée. Le toro
d'ouverture, de La Quinta, âgé, imposant, lourd, brave au cheval,
puis noble à la muleta mais gardant systématiquement la tête dans
les nuages, à l'image de son pelage. López-Chaves, qui semble
indifférent aux oreilles, aux vueltas, et qui se contente de saluer
au tiers, a réalisé une faena efficace, probablement la plus
adaptée au toro afin qu'il dure. Même si c'est vrai, le matador
aurait pu l'obliger davantage dans sa muleta. Il possède en tout cas
un très grand professionnalisme, un terme qui n'a rien de péjoratif.
Bon dans la lidia et dans la mise en valeur des toros. Mais c'est
l'épée qui lui fit défaut.
Les cinq autres exemplaires, de
Pallarés, Héritiers de Christophe Yonnet (remplaçant un Vinhas),
San Martín (remplaçant un Fraile), Ana Romero, Los Maños, ont été
décevants. Dommage pour Pepe Moral, et surtout pour Tomás Campos,
inédit et que l'on avait envie de voir dans cette arène et ce
contexte.
L'après-midi, ce fut une corrida de
Raso de Portillo, avec un exemplaire d'El Quiñón, le second fer de
la maison. Une corrida dont trois toros, le 3ème Vedillo, le 4ème
Parisino, le 5ème Tallista, étaient déjà l'an dernier, en
titulaires ou en sobreros, dans les corrales de Vic pour la novillada
de Raso interrompue par les intempéries. Quant à Uño, numéro 30,
le 6ème, c'est Maxime Solera qui aurait dû le toréer l'an dernier
à Céret en novillada. Mais à cause d'une blessure dans les
corrales, il fut écarté du lot au dernier moment.
La mansedumbre de certains toros fit
penser, parfois, au comportement typique du corralero. Un toro qui a
traîné précédemment en arrière-salle, et qui s'avère souvent
coriace. Ce n'est pas une règle absolue, mais cela peut jouer sur le
comportement des toros.
Des Raso de Portillo en corridas
d'ailleurs, on savait peu de choses, car hormis en 2013 à Orthez, on
a essentiellement vu cet élevage en novilladas, avec des exemplaires
mobiles, parfois durs, parfois braves, parfois nobles. Diversité
d'un élevage où les origines sont bien plus nombreuses qu'on ne le
pense.
Ce dimanche, ce fut une corrida dure.
Avec une impression de bravoure parfois à la pique, ce qui n'est pas
étonnant quand on connaît la rigueur de sélection dans ce domaine
de la famille Gamazo. Mais ensuite, des toros distraits, difficiles,
âpres, dangereux, hésitants, et hélas, manquant aussi de race.
Le troisième, avec le fer d'El Quiñón,
était très dur. Aussi aride et austère que cette foutue route
interminable entre Burgos et Valladolid, juste avant d'arriver sur
les terres de l'élevage. Toro difficile au superlatif, violent, et
qui blessa le banderillero Niño de Santa Rita. Encore une fois, ce
toro le plus dur, c'est Alberto Lamelas qui le toucha. D'ailleurs,
c'est avec Raso de Portillo que le torero tant apprécié de Vic
avait signé son premier coup d'éclat dans le Sud-Ouest, en 2007 à
Parentis. Face au terrible toro d'El Quiñón, ce fut une faena au
rythme de baston, mais tellement valeureuse.
Le quatrième toro, très armé,
pointu, mais manso, décasté et désintéressé du combat, fut
ovationné à l'arrastre par une partie du public. Le bon lidiador
qu'est Octavio Chacón n'avait là absolument aucune possibilité.
Avant l'arrastre, on pouvait notamment entendre "président, il
faut donner deux oreilles au toro". En me retournant,
j'apercevais une personne en me disant qu'elle devait déjà aller
aux arènes tandis que je n'étais pas né. Et là ? Qu'est-ce qu'on
fait ? Car c'est désarmant (voire alarmant) d'entendre des conneries
pareilles.
Mais Chacón est un torero nécessaire
à ces corridas, même si en cette occasion il ne fut pas adroit avec
l'épée. Après le combat du troisième, on vit des cuadrillas en
panique, et dans le doute. C'était une corrida dure. Antonio Nazaré
complétait le trio de toreros andalous et sut lui aussi s'en sortir.
On termina donc la feria sur une
gigantesque corrida de Pedraza de Yeltes (avec un sobrero sorti en
cinquième). Des toros allant vers les six ans pour la plupart. Des
toros impressionnants, longs, lourds, armés, mais... sans cette
incroyable bravoure que l'on avait vu ailleurs chez des toros du même
élevage. Sur une piste qui semblait plus dure que les jours
précédents, on vit des Pedraza dans l'ensemble réservés. Dur
public aussi, et durs accrochages pour Curro Díaz et Emilio de
Justo. Deux roustes d'enfer. Daniel Luque, quant à lui, montra qu'il
possédait beaucoup de technique, mais ses deux combats eurent peu
d'intensité. Au sixième, Emilio de Justo sembla jouer le tout pour
le tout. Le public, les jours précédents, sembla parfois reprocher
aux toreros de ne pas aller jusque-là, face à des toros qui
n'avaient rien d'exceptionnel. Emilio de Justo franchira la limite,
et une partie du public (j'ose espérer que ce n'est pas la même, ce
serait contradictoire, mais les doutes subsistent), lui reprocha ce
fait et cette insistance. Il avait à affronter un toro immense, "à
hauteur d'homme" comme dirait un Camarguais. Un toro réservé,
gardant la tête au niveau de celle du matador. Tête à tête, au
propre comme au figuré. Emilio de Justo s'est beaucoup donné dans
la bataille, jusqu'à être cueilli pour une effrayante voltereta,
soulevé puis quasiment piétiné. Après un K.O technique, c'est
diminué qu'il resta en piste, très courageusement, pour porter une
estocade tombée au second essai. Et une oreille qui est de celles,
dans de telles circonstances, qui ne dérangent pas.
Le samedi après-midi, les gendarmes
étaient intervenus sur les gradins à la demande d'on ne sait qui
pour déloger une personne qui se manifestait bruyamment et de façon
intempestive. Ridicule, car un tel comportement ne nécessite pas
l'intervention de la force publique, et après tout, l'expression est
libre pour celui qui passe aux guichets. Mais ridicule aussi dans le
sens où cette intervention fit passer pour une victime quelqu'un qui
gueulait, dépassant parfois dans son vocabulaire la limite du
respect.
Ridicule, donc, comme plusieurs
interventions du week-end. A croire que certains sont incapables de
faire la part des choses. En traitant les toreros qui viennent à Vic
pire qu'ils ne dénigrent les agissements des vedettes. De cette
façon, ce manque de tact, c'est scier la branche. Car il faut de
l'indulgence, un minimum, pour les toreros qui viennent se frotter à
cette adversité.
Quand El Fundi a arrêté sa carrière,
beaucoup ont poussé des cris d'orfraie. C'est vrai, c'est dur de lui
trouver un successeur. Et puis, cette carrière, cette longévité
d'El Fundi dans les corridas dures, cela semble difficilement
égalable.
On a l'impression qu'une partie du
public attend de voir dans les corridas dures des faenas aussi
longues et amples que dans les corridas de vedettes. C'est vrai,
parfois, dans des élevages réputés et difficiles, sortent des
toros un peu plus doux et qui permettent de toréer relâché. Ils
sont quand même relativement rares.
Pour le reste, quand s'avancent en
piste des toreros comme López-Chaves ou Octavio Chacón, qui ont des
vraies qualités de lidiadors, en optant pour le combat, il faut s'y
faire. Même si ce n'est pas le plus esthétique, voir des matadors
s'imposer en cassant la charge des toros durs, comme le faisait El
Fundi, comme je l'espère le feront encore beaucoup d'autres, c'est
ce qui fait la beauté du truc. Et il en faut.
Florent
(Image d'Isabelle Dupin : toro de Raso
de Portillo)