Si l'on devait raconter ce que
représente Iván Fandiño à une personne ignorant tout de la
tauromachie, on évoquerait très certainement l'histoire d'Ayrton
Senna. Car il y a un an, le monde des toros perdait Iván Fandiño
comme le sport automobile perdit en son temps le brésilien Senna.
De ceux qui un jour, au sein de leur
discipline, pour bousculer la hiérarchie, prirent davantage de
risques que leurs pairs. Tout cela afin de se distinguer et
d'atteindre le plus haut niveau. En ayant sûrement aussi, dans un
coin de l'esprit, une idée du risque et la conscience du fait que
rien n'est éternel.
Aire-sur-l'Adour, samedi 17 juin 2017,
corrida de Baltasar Ibán pour Iván Fandiño, Thomas Dufau et Juan
del Alamo. Forte chaleur cet après-midi là, et puis ce quite par
chicuelinas au troisième toro, cet accrochage, ce
flottement qui suivit, et puis, toute cette incertitude.
Vint plus tard le choc, l'annonce
terrible et irrémédiable.
Le soir déjà, commencèrent à
pleuvoir des hommages, partout, et ils se poursuivirent dans le temps
dans plein d'endroits et d'arènes. Certains s'interrogèrent sur ces
innombrables hommages. Mais la question ne devrait pas se poser. On
parle là de tauromachie, et un torero est pour les aficionados un
être à part. Il y a cette exposition au public, ce risque, ce
stoïcisme devant les blessures, cette sérénité face au triomphe.
Avant, on avait pu voir des drames de
l'arène, par le biais d'images anciennes ou venues d'ailleurs,
lointaines dans le temps ou la distance. La blessure d'Iván Fandiño,
elle, est arrivée juste devant nous.
Drame, choc, et tourbillon émotionnel
qui ramène tant de souvenirs.
Iván Fandiño, jusque tard dans sa vie
de jeune homme et de torero, personne ne l'avait vu venir. Ce n'était
pas un novillero prometteur, d'ailleurs, en non piquée, il lui
arrivait même parfois d'être au poste de remplaçant.
Mais au prix d'un effort colossal, aux
côtés de son fidèle et indéfectible ami Néstor García, le
basque Iván Fandiño parvint à éclore. Avec force, grande force,
en atteignant les sommets. Combien de fois l'a-t-on vu se sublimer ?
Ce début de faena de la main gauche à Madrid en citant de loin un
énorme toro de Cuadri, cette faena à Mont-de-Marsan à un Fuente
Ymbro sans laisser un pouce de terrain, ces estocades de folie, avec
ou sans muleta. Et bien sûr, tant d'autres souvenirs. Iván Fandiño
est arrivé au premier plan, avec cette vérité de torero qui se
dégageait à chaque fois. Y compris dans les échecs, en essayant de
revenir, toujours, pour combattre, et vaincre.
Un torero à part, un torero aimé. Un
jeune homme que personne ne regardait à ses débuts mais qui un jour
devint le centre de toutes les attentions. Les gens aiment ça, ces
histoires-là, et ils ont raison, cela contribue tellement à la
grandeur. Deux fois, les auditeurs de Radio Nacional de España
accordèrent à Iván Fandiño le prestigieux trophée dit de la
"Oreja de oro", au triomphateur de la saison. Un trophée
sans jury désigné d'avance. Les aficionados l'avaient choisi lui.
Nous reviennent en mémoire tant
d'images de l'homme et du torero. Incrédules, on cherche parfois
même encore le nom d'Iván Fandiño sur une affiche, sur un
calendrier, dans les cartels d'une feria.
Le plus dur, en fait, c'est de se dire
qu'on ne le reverra plus.
Florent
(Iván Fandiño aux arènes
d'Aire-sur-l'Adour, le 17 juin 2017 : photo de Romain Tastet)