Niveau toros, la Catalogne est un
désert où les cornes et les affiches ont peu à peu disparu. Et ce
des deux côtés de la frontière, Collioure, Port-Barcarès,
Argelès, Saint-Cyprien, Figueres, Sant Feliu, Lloret, Olot, Gérone,
Barcelone aussi bien sûr ! Dans la Catalogne des corridas ne restent
que Céret et Millas.
Céret, l'une des plus sérieuses et
même plus exigeantes plazas de la planète taurine. Et puis, à
Céret, ils n'aiment pas trop donner des oreilles. Pourtant, du fait
de les décerner avec parcimonie, cela renforce leur valeur
lorsqu'elles sont accordées. Mais avec la dureté de cette arène,
cela reste rare.
Alors, goûter à un triomphe inouï en
ces lieux, c'est quelque chose de sacrément difficile.
Plusieurs années en arrière, si
quelqu'un avait dit qu'un torero français s'y taillerait un succès
d'anthologie, on ne l'aurait probablement pas cru. Car Céret est une
arène où peu veulent aller.
En 2017 déjà, pour sa présentation
dans cette plaza, Maxime Solera était passé tout près du triomphe
face à une novillada de Raso de Portillo.
Raphaël, son père, originaire de
Port-Vendres, a été novillero dans les années 80. Et son frère,
pour sa part, fut razeteur. Les toros, dans la famille, c'est quelque
chose d'important. Mais à l'école taurine qu'il fréquentait,
lorsqu'il était plus jeune, Maxime Solera a dû entendre de dures
critiques. On lui a dit qu'il ne savait pas toréer, pouvait arrêter,
et qu'il était ainsi inutile de continuer. En 2018, un genou
déglingué par une sérieuse blessure en début de saison a failli
compromettre la suite de sa carrière.
Si on regarde dans le dico, "solera",
en espagnol, ça veut dire prestige. Et avec audace, le coeur et le
sang-froid d'un samouraï, il y a possibilité de faire de grandes
choses.
Comme deux ans auparavant, Maxime
Solera est retourné à portagayola, face au toril. Cette fois, le
novillo de Monteviejo l'a pris de plein fouet, pour un accrochage
terrifiant. Le novillero s'est relevé avec l'habit poussiéreux,
alors que son adversaire se cassa une corne et dut être remplacé.
Tandis qu'il venait de s'en tirer
miraculeusement, Maxime Solera est retourné face au toril pour
recevoir le réserve d'Urcola.
A cet instant-là, déjà, il y a ceux
qui ne veulent plus voir. Ceux qui se cachent les yeux, et sifflent,
par peur.
Mais cette fois, la passe initiale à
genoux est réussie. Et une chance pour le novillero d'avoir face à
lui un bon adversaire d'Urcola. La lidia est bien faite, en gardant
pour le tiers de piques un seul subalterne en piste.
A la muleta, il y a des cites de loin,
de la distance, du courage, de l'envie, de la rage. Maxime Solera
parvient à transmettre dans chaque série, et on remarque son
bonheur d'être là, sa sérénité aussi. A la fin, le coup d'épée
qui arrive est extraordinaire, en abandonnant la muleta, et en se
jetant sur les cornes. Digne des toreros les plus courageux de
l'Histoire de cette profession. Deux descabellos n'ont pas empêché
le triomphe, les deux oreilles.
Obtenir deux oreilles à Céret pour un
novillero ne peut être un aboutissement, mais c'est une étape dans
une carrière, et le symbole d'un engagement remarquable, sans
faille. Quelle puissance, et quelle détermination. Au dernier
Monteviejo par ailleurs, Maxime Solera ne se contenta pas du succès
précédemment acquis, et mena encore une fois parfaitement la lidia,
embarquant ensuite avec force dans la muleta un novillo pourtant
assez réservé. Une autre estocade, bien placée, et différente
cette fois, al recibir.
Maxime Solera pouvait quitter les
arènes a hombros, chose qui n'était pas arrivée depuis fort
longtemps à Céret pour un novillero, et pour un français. Une
arène où tout commença pour lui à genoux, face au toril. On se
souviendra longtemps d'images de cette matinée, et de cette
détermination fabuleuse. Il y a des choses inexplicables, comme la
beauté de ce triomphe.
Florent
(Image de Muriel Haaz : le tour de
piste de Maxime Solera après avoir combattu "Hurón",
novillo d'Urcola)